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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

La Révolution des Fourmis (27 page)

BOOK: La Révolution des Fourmis
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— Impossible d’améliorer l’informatique, objecta David.
Les puces informatiques vont pour tout le monde à la même vitesse et on ne peut
pas en fabriquer de plus rapides.

Francine se leva.

— Qui parle de faire des puces plus rapides ?
C’est évident que nous ne pouvons pas façonner nous-mêmes des puces
électroniques. En revanche, nous allons les agencer différemment.

Elle demanda à Julie son
Encyclopédie
et se mit à
chercher les pages avec les plans.

— Regardez. Au lieu d’une hiérarchie de puces
électroniques, c’est une démocratie de puces qui est représentée ici. Plus de
microprocesseur supérieur dominant des puces exécutantes, tous chefs et au même
niveau. Cinq cents puces microprocesseurs, cinq cents cerveaux égaux et aussi
efficaces les uns que les autres qui, du coup, communiquent en permanence.

Francine désigna un croquis dans un coin.

— Le problème, c’est de trouver leur disposition. Tout
comme une maîtresse de maison lors d’un dîner, il faut s’interroger sur la
façon de répartir son monde. Si on assoit les gens normalement autour d’une
longue table rectangulaire, ceux des extrémités ne se parleront pas, seuls ceux
du milieu accapareront l’auditoire. L’auteur de l’
Encyclopédie du Savoir
Relatif et Absolu
conseille de disposer toutes les puces en rond afin que
toutes soient face à face. Le cercle est la solution.

Elle leur montra d’autres graphiques.

— La technologie n’est pas une fin en soi, dit Zoé. Ton
ordinateur ne répond pas à la préoccupation de créativité musicale.

— Je comprends ce qu’elle veut dire. Si ce type a des
idées pour renouveler l’outil le plus sophistiqué existant, l’ordinateur, il
peut sûrement nous aider à renouveler la musique, remarqua Paul.

— Julie a raison. Il faut élaborer une poésie qui nous
soit propre, renchérit Narcisse. Peut-être que ce livre nous y aidera.

Francine, qui avait toujours l’
Encyclopédie
en main,
l’ouvrit au hasard et lut à haute voix :

 

Fin, ceci est la fin.

Ouvrons tous nos sens.

Un vent nouveau souffle ce matin,

Rien ne pourra ralentir sa folle danse

Mille métamorphoses s’opéreront dans ce monde endormi.

Il n’est pas besoin de violence pour briser les valeurs
figées

Soyez surpris : nous réalisons simplement la
« Révolution des fourmis
 ».

 

Après ce couplet tous réfléchirent.

— « Révolution des fourmis » ? s’étonna
Zoé. Ça ne veut rien dire. Personne ne releva.

— Si on veut en faire une chanson, il manque un
refrain, souligna Narcisse.

Julie se tut un instant, ferma les yeux, puis suggéra :

 

Il n’y a plus de visionnaires

Il n’y a plus d’inventeurs.

 

Peu à peu, couplet après couplet, ils mirent au point les
paroles d’une première chanson, en puisant largement dans les paragraphes de l’
Encyclopédie
.

Pour la musique, Ji-woong dénicha un passage qui expliquait
comment construire des mélodies comme des architectures. Edmond Wells y
décomposait les constructions de morceaux de Bach. Ji-woong dessina au tableau
une sorte d’autoroute sur laquelle il traça la trajectoire d’une ligne
musicale. Chacun vint tracer autour de cette ligne simple la trajectoire de son
instrument propre. La mélodie finit par ressembler à un grand lasagne.

Ils ajustèrent leurs instruments et combinèrent des effets
de mélodies croisées qu’ils notèrent sur le schéma.

Chaque fois qu’un membre du groupe percevait où il convenait
d’apporter une rectification, il effaçait au chiffon un bout de trajectoire et
en redessinait une forme modifiée.

Julie fredonna la mélodie et ce fut comme un air vivant,
partant de son nombril pour escalader sa trachée-artère. Il n’y eut d’abord
qu’une œuvre sans paroles puis la jeune fille aux yeux gris clair chanta ce qu’elle
lisait : le premier couplet : « Fin, ceci est la fin », le
refrain : « Il n’y a plus de visionnaires, il n’y a plus
d’inventeurs », puis un second couplet, issu d’un autre passage du livre :

 

N’as-tu jamais rêvé d’un autre monde ?

N’as-tu jamais rêvé d’une autre vie ?

N’as-tu jamais rêvé qu’un jour, l’homme trouve sa place
dans l’Univers ?

N’as-tu jamais rêvé qu’un jour, l’homme communique avec
la nature, toute la nature, et qu’elle lui réponde en partenaire et non plus en
ennemie vaincue ?

N’as-tu jamais rêvé de parler aux animaux, aux nuages et
aux montagnes, d’œuvrer ensemble et non plus les uns contre les autres ?

N’as-tu jamais rêvé que des gens se regroupent pour
tenter de créer une cité où seraient différents les rapports humains ?

Réussir ou échouer n’aurait plus d’importance. Personne
ne s’autoriserait à juger quiconque. Chacun serait libre de ses actes et
préoccupé pourtant de la réussite de tous
.

 

La tessiture de Julie Pinson était changeante. Parfois, sa
voix présentait des aigus de petite fille pour basculer ensuite dans des graves
rauques.

À chacun des Sept Nains, elle rappelait un interprète
différent. Paul trouva qu’elle faisait penser à Kate Bush, Ji-woong à Janis
Joplin, Léopold à Pat Benatar avec sa sensualité
hard rock
, pour Zoé, elle
présentait plutôt l’intensité de la chanteuse Noa.

La vérité, c’était que chacun discernait en Julie ce qui,
dans une voix féminine, le saisissait le plus.

Elle interrompit son chant et David se lança dans un
incroyable solo échevelé de harpe électrique. Léopold s’empara de sa flûte pour
dialoguer avec lui. Julie sourit et entama un troisième couplet :

 

N’as-tu jamais rêvé d’un monde qui ne craindrait pas ce
qui ne lui ressemble pas ?

N’as-tu jamais rêvé d’un monde où chacun saurait trouver
en lui sa perfection ?

J’ai rêvé, pour changer nos vieilles habitudes, d’une
Révolution.

Une Révolution des petits, une Révolution des fourmis.

Mieux qu’une révolution : une évolution.

J’ai rêvé, mais ce n’est qu’une utopie.

J’ai rêvé d’écrire un livre pour la raconter et que ce
livre vivrait à travers le temps et l’espace bien au-delà de ma propre vie.

Si j’écris ce livre, il ne sera qu’un conte. Un conte de
fées qui jamais ne se réalisera
.

 

Ils se réunirent en une ronde et ce fut comme si un cercle
magique qui aurait dû exister depuis longtemps venait enfin de se recomposer.

Julie ferma les paupières. Un charme s’empara d’elle. De
lui-même, son corps se dandina au rythme de la basse de Zoé et de la batterie
de Ji-woong. Elle qui n’aimait pas la danse était prise d’une irrésistible
envie de se mouvoir.

Tous l’y encouragèrent. Elle ôta son pull de laine informe
et, en étroit tee-shirt noir, s’agita harmonieusement, micro en main.

Narcisse y alla de son riff à la guitare électrique.

Zoé assura qu’une bonne chute était nécessaire pour
équilibrer le tout.

Yeux toujours clos, Julie improvisa :

 

Nous sommes les nouveaux visionnaires,

Nous sommes les nouveaux inventeurs
.

 

Voilà, ils avaient maintenant la chute.

Francine fit un final à l’orgue et tous s’arrêtèrent
ensemble.

— Super ! s’exclama Zoé.

Ils discutèrent de ce qu’ils venaient d’accomplir. Tout
semblait fonctionner sauf le solo de la troisième partie. David affirma qu’il
fallait innover dans ce domaine aussi, chercher autre chose que le traditionnel
riff à la guitare électrique.

C’était leur premier morceau original et ils se sentaient
quand même assez fiers d’eux. Julie essuya son front en sueur. Embarrassée de
se retrouver en tee-shirt, elle se rhabilla vite en marmonnant des excuses.

Pour faire diversion, elle leur dit que le chant pouvait
être encore mieux contrôlé. Son maître de chant, Yankélévitch, lui avait appris
à se soigner avec les sons.

— Comment ça ? demanda Paul qui s’intéressait à
tout ce qui concernait les sons. Montre-nous.

Julie expliqua que par exemple la sonorité « O » prononcée
dans les tonalités graves agit sur le ventre.

— « OOO », cela fait vibrer les intestins. Si
vous avez du mal à digérer, faites vibrer votre système digestif avec ce son.
« OOOO ». C’est moins cher que des médicaments et toujours disponible.
Juste une vibration. À la portée de toutes les bouches.

Sept Nains entonnèrent un bel « OOOO », en
essayant de percevoir l’effet sur leur organisme.

— Le son « A » agit sur le cœur et les
poumons. Si vous êtes essoufflés vous le faites naturellement.

Ils reprirent en chœur : « AAAAAA ».

— Le son « E » agit sur la gorge. Le son
« U » sur la bouche et le nez. Le son « I » sur le cerveau
et le sommet du crâne. Prononcez profondément chaque son et faites vibrer vos
organes.

Ils répétèrent chacune des voyelles et Paul proposa de
mettre au point un morceau thérapeutique qui soulagerait les souffrances de
ceux qui l’entendraient.

— Il a raison, soutint David, on pourrait mettre au
point une chanson rien qu’avec des successions de OOO, de AAA et de UUU.

— Et passer en basse des infrasons qui calment,
compléta Zoé. Ce serait l’idéal pour soigner les gens qui nous écoutent.
« La musique qui guérit », ce pourrait être un bon slogan.

— Ce serait complètement inédit.

— Tu plaisantes ? dit Léopold. C’est connu depuis
l’Antiquité. Pourquoi crois-tu que nos chants indiens ne sont construits qu’à
partir de voyelles simples répétées à l’infini ?

Ji-woong confirma que la tradition coréenne contenait des
chants uniquement composés de voyelles.

Ils décidèrent d’élaborer un morceau qui profiterait au
corps de leurs auditeurs. Ils allaient s’y mettre quand un coup de batterie qui
ne provenait pas des tambours de Ji-woong résonna dans le petit local.

Paul alla ouvrir la porte.

— Vous faites trop de bruit, se plaignit le proviseur.

Il était vingt heures. Ils avaient généralement le droit de
jouer jusqu’à vingt et une heures trente mais ce jour-là, le proviseur s’était
attardé dans son bureau pour finir sa comptabilité.

Il entra dans la pièce et dévisagea chacun des huit musiciens.

— Je n’ai pas pu m’empêcher de vous écouter. J’ignorais
que vous aviez des morceaux originaux. C’est vraiment pas mal ce que vous
faites. D’ailleurs, ça tombe peut-être bien.

Il s’assit en retournant le dossier d’une chaise.

— Mon frère inaugure un centre culturel dans le
quartier François I
er
et il est en quête d’un spectacle pour
essuyer les plâtres, régler la sonorisation, installer la billetterie, mettre
tout au point, quoi ! Il avait retenu un quatuor à cordes mais deux des
musiciens ont attrapé la grippe et un quatuor à deux, même dans un centre de
quartier, ça ne fait pas sérieux. Depuis hier, il cherche quelqu’un capable de
les remplacer au pied levé. S’il ne trouve rien, il va devoir repousser
l’ouverture du centre. Ce qui ferait mauvais effet auprès de la mairie. Vous
pouvez sans doute lui sauver la mise. Ça ne vous intéresserait pas de jouer
là-bas pour l’ouverture ?

Les huit s’entre-regardèrent, ne parvenant pas à croire à
leur bonne fortune.

— Et comment ! proféra Ji-woong.

— Bon, eh bien, préparez-vous vite, vous jouez samedi
prochain.

— Ce samedi ?

— Bien sûr, ce samedi.

Paul faillit dire que non, ce n’était pas possible, ils
n’avaient pour l’instant qu’un seul morceau à leur répertoire, quand le regard
de Ji-woong lui intima de se taire.

— Aucun problème, affirma Zoé.

Ils étaient inquiets et ravis à la fois.

Ils allaient enfin jouer devant un vrai public, terminées,
les soirées minables et les fêtes de quartier.

— Parfait, dit le proviseur. Je compte sur vous pour
mettre de l’ambiance.

Il leur adressa un clin d’œil complice.

De surprise, Francine, qui n’en revenait pas, glissa du
coude sur le clavier de son orgue et produisit un arpège discordant qui sonna
comme un coup de canon.

 

65. ENCYCLOPÉDIE

 

CONSTRUCTION MUSICALE — LE
CANON
 : En musique, le
« canon » présente une structure de construction particulièrement
intéressante. Exemples les plus connus : « Frère Jacques »,
« Vent frais, vent du matin » ou encore le canon de Pachelbel.

Le canon est bâti autour
d’un thème unique dont les interprètes explorent toutes les facettes en le
confrontant à lui-même. Une première voix commence par exposer le thème. Après
un temps prédéterminé, une seconde voix le répète puis une troisième voix le
reprend.

Pour que l’ensemble
fonctionne, chaque note a trois rôles à jouer :

1 . Tisser la mélodie
de base.

2 . Ajouter un
accompagnement à la mélodie de base.

3 . Ajouter un
accompagnement à l’accompagnement et à la mélodie de base.

Il s’agit donc d’une
construction à trois niveaux dans laquelle chaque élément est, selon son
emplacement, à la fois vedette, second rôle et figurant.

On peut sophistiquer le
canon sans ajouter une note, simplement en modifiant la hauteur, un couplet
dans l’octave au-dessus, un couplet dans l’octave au-dessous.

Il est aussi possible de
compliquer le canon en lançant la seconde voix rehaussée d’une demi-octave. Si
le premier thème est en do, le second sera en sol, etc.

On peut compliquer
davantage encore le canon en agissant sur la rapidité du chant. Plus
vite : tandis que la première voix interprète le thème, la deuxième le
répète deux fois à toute vitesse. Plus lent : tandis que la première voix
interprète la mélodie, la deuxième la répète deux fois plus lentement.

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