La Révolution des Fourmis (24 page)

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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

BOOK: La Révolution des Fourmis
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— Im-po-ssible. De révolution non violente, l’histoire
n’en connaît pas. Les deux mots sont pratiquement antinomiques.

— Dans ce cas, elle reste à inventer, lança Julie sans
se démonter.

Zoé vint à sa rescousse.

— Le rock’n’roll, l’informatique… ce sont bien des
révolutions sans violence qui ont transformé les mentalités sans effusion de
sang.

— Ce ne sont pas des révolutions ! s’offusqua le
professeur. Le rock’n’roll et l’informatique n’ont en rien modifié la politique
des pays. Ils n’ont pas chassé les dictateurs, ils n’ont pas donné davantage de
liberté aux citoyens.

— Le rock a changé davantage la vie quotidienne des
individus que la Révolution de 1789 qui, en fin de compte, n’a abouti qu’à
plus de despotisme, reprit Ji-woong.

— Avec le rock, on peut renverser la société, renchérit
David.

L’ensemble de la classe s’étonna de voir Julie et les Sept
Nains s’accrocher à des convictions ignorées de leur livre d’histoire.

Le professeur retourna à son bureau, se cala confortablement
dans son fauteuil, comme pour affirmer ses propres opinions.

— Très bien, ouvrons le débat. Puisque notre groupe de
rock local tient à remettre en question la Révolution française,
allons-y ! Parlons de révolutions.

Dépliant au mur une mappemonde, il promena sa règle sur
différents secteurs.

— De la révolte de Spartacus à la guerre d’Indépendance
américaine, sans oublier la Commune de Paris au dix-neuvième siècle,
Budapest 1956, Prague 1968, la révolution des Œillets au Portugal,
les révolutions mexicaines de Zapata et de ses prédécesseurs, la Longue Marche
de Mao et des siens en Chine, la révolution sandiniste au Nicaragua,
l’avènement de Fidel Castro à Cuba, tous ceux, je dis bien TOUS CEUX qui ont
voulu changer le monde, convaincus que leurs idées étaient plus justes que
celles des gouvernants en place, tous ont dû se battre et lutter pour les
imposer. Beaucoup sont morts. Rien sans rien : c’est le prix à payer. Les
révolutions se font dans le sang. C’est ainsi et c’est d’ailleurs pour cela que
les drapeaux révolutionnaires arborent toujours la couleur rouge quelque part.

Julie refusa de plier sous cet assaut d’éloquence.

— Notre société a changé, dit-elle avec fougue. On doit
pouvoir sortir d’une sclérose sans mouvement brusque. Zoé a raison : le
rock et l’informatique constituent bel et bien des exemples de révolutions
douces. Pas de rouge dans leur drapeau et on n’a pas pu encore en prendre
l’exacte mesure. L’informatique permet à des milliers de gens de communiquer
vite et loin, sans contrôle gouvernemental. La prochaine révolution se fera
grâce à ce genre d’outils.

Le professeur hocha la tête, soupira et, d’un ton détaché,
s’adressa à la classe :

— Vous croyez ? Eh bien, je vais vous raconter une
petite histoire, à propos de ces « révolutions douces » et des réseaux
de communication moderne. En 1989, sur la place Tian An Men, les étudiants
chinois croyaient pouvoir user des technologies de pointe pour inventer une
révolution différente. Tout naturellement, ils ont pensé à se servir des fax.
Des journaux français ont suggéré à leurs lecteurs d’envoyer des fax pour
soutenir les conjurés. Résultat : en surveillant les appels de France, la
police chinoise a repéré et arrêté un par un les révolutionnaires équipés
d’ordinateurs et de fax ! Ces jeunes Chinois qui sont enfermés dans des
geôles, torturés, et à qui, on le sait maintenant, on a ôté des organes sains
afin de les greffer sur de vieux dirigeants usés par l’âge, sont sûrement très
reconnaissants envers ces Français qui, par fax, leur ont adressé des messages
de « soutien » ! Vous avez là un bel exemple de l’apport des
technologies de pointe à la réussite des révolutions…

L’élève et l’enseignant se dévisagèrent.

L’anecdote avait quelque peu déstabilisé Julie.

La confrontation avait enchanté la classe et le professeur
aussi. Grâce à ce débat d’idées, il s’était senti rajeunir. Il avait été
autrefois communiste et avait connu une grande déception lorsque son parti
l’avait sommé de saborder sa section pour d’obscures raisons d’alliances
électorales locales. « Là-haut », à Paris, on les avait rayés d’un
trait, lui et les siens, pour s’assurer de conserver un siège, on ne lui avait
même pas dit où. Écœuré, il avait abandonné la politique mais cela, il ne
pouvait pas le raconter à ses lycéens.

Julie sentit une main sur son épaule.

— Laisse tomber, chuchota Ji-woong. Il ne te laissera
pas le dernier mot.

Le professeur consulta sa montre.

— L’heure est passée. Vous serez contents la semaine
prochaine nous étudierons la révolution russe de 1917. Encore des famines,
des massacres, des souverains tronçonnés mais, au moins, sur fond de décor de
neige et de musique de balalaïka. Somme toute, les révolutions se ressemblent,
seuls l’environnement et le folklore les différencient.

Il eut un dernier coup d’œil en direction de Julie.

— Je compte sur vous, mademoiselle Pinson, pour
m’opposer des arguments intéressants. Julie, vous faites partie de ce que je
pourrais appeler les « anti-violents » violents. Ce sont les pires.
Ce sont eux qui font cuire les homards à feu doux parce qu’ils n’ont pas le
courage de les jeter d’un coup dans l’eau bouillante. Résultat : la bête
souffre cent fois plus et beaucoup plus longtemps. Et puisque vous êtes si
douée, Julie, tachez de trouver comment les bolcheviques auraient pu,
« sans violence », se débarrasser du tsar de toutes les Russies.
Intéressante hypothèse de travail…

Là-dessus la cloche grise se mit à sonner.

 

58. LE GUÊPIER

 

Ça ressemble à une cloche grise. Des sentinelles guêpes
papetières aux dards noirs acérés tournoient autour.

Comme les blattes sont les ancêtres des termites, les guêpes
sont les aïeules des fourmis. Chez les insectes, espèces anciennes et espèces
évoluées continuent parfois à cohabiter. C’est comme si les humains
d’aujourd’hui côtoyaient encore les Australopithèques dont ils sont issus.

Pour être primitives, les guêpes n’en sont pas moins
sociales. Elles vivent en groupes dans des nids de carton, même si ces ébauches
de cités ne ressemblent en rien aux vastes constructions de cire des abeilles
ou de sable des fourmis.

103
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et ses comparses s’approchent du nid. Il
leur paraît très léger. Les guêpes construisent ce type de village en pâte à
papier en mâchant longuement des fibres de bois mort ou vermoulu avec leur
salive.

Des éclaireuses guêpes papetières lâchent des phéromones
d’alerte en apercevant ces fourmis qui grimpent dans leur direction. Elles
s’adressent des signaux de connivence avec leurs antennes et foncent, dard
dressé, prêtes à tout pour repousser les intruses myrmécéennes.

Le contact entre deux civilisations est toujours un instant
délicat. La violence est souvent le premier réflexe. Alors 14
e
imagine un stratagème pour amadouer ces guêpes papetières. Elle régurgite un
peu de nourriture qu’elle tend aux guêpes. On est toujours surpris lorsque des
gens censés être vos ennemis vous offrent un cadeau.

Les guêpes papetières atterrissent et s’avancent, méfiantes.
14
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rabat ses antennes en arrière en signe d’absence de volonté de
combattre. Une guêpe lui tapote le crâne du bout des siennes pour voir comment
elle va réagir ; 14
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ne réagit pas. Les autres Belokaniennes
rabattent aussi leurs antennes en arrière.

Une guêpe papetière émet en langage olfactif qu’ici elles se
trouvent en territoire guêpe et que des fourmis n’ont rien à y faire.

14
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explique que l’une d’elles veut se nantir
d’un sexe et que l’opération est indispensable à la survie de leur groupe tout
entier.

Les éclaireuses guêpes papetières dialoguent entre elles.
Leur façon de converser est très particulière. Elles ne font pas qu’émettre des
phéromones, elles se parlent aussi par de grands mouvements d’antennes. Elles
expriment la surprise en les dressant, la méfiance en les dardant en avant et
l’intérêt en n’en pointant qu’une seule. Parfois, l’extrémité de leurs antennes
molles caresse l’extrémité de celles de leur interlocutrice.

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s’avance à son tour et se présente. C’est
elle qui désire un sexe.

Les guêpes lui tapotent le crâne puis lui proposent de les
suivre. Qu’elle vienne, mais seule.

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pénètre dans le fruit de papier qui s’avère
bien être un nid.

L’entrée est surveillée par de nombreuses sentinelles. C’est
normal. Il n’y a pas d’autre issue, c’est seulement par là que des ennemis
peuvent attaquer le nid et c’est par ce trou aussi qu’il est possible de
maîtriser la température interne de la cité. Les sentinelles agitent leurs
ailes, précisément pour créer des courants d’air à l’intérieur de celle-ci.

Bien qu’elles soient les ancêtres des fourmis, ces guêpes-ci
semblent très évoluées. Leur nid est composé de rayons parallèles en papier,
horizontaux, supportant chacun une seule rangée d’alvéoles. Comme dans les
ruches d’abeilles, ces alvéoles sont de forme hexagonale.

Des piliers de dentelle grise finement mâchouillés relient
les divers rayons. Plusieurs couches de papier mâché et de carton protègent les
cloisons externes du froid et des chocs. 103
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connaît déjà un peu
les guêpes. À Bel-o-kan, des nourrices instructrices lui ont appris comment
vivent ces insectes.

À l’inverse d’une ruche d’abeilles, cité permanente, le
guêpier, lui, ne dure qu’une saison. Au printemps, une reine guêpe, chargée
d’une multitude d’œufs, part à la recherche d’un lieu où implanter son nid.
Lorsqu’elle l’a trouvé, elle construit une alvéole de carton dans laquelle elle
dépose ses œufs. Quand ils éclosent, elle nourrit les larves de proies qu’elle
passe ses journées à tuer. Les larves mettent quinze jours à se transformer en
ouvrières opérationnelles. Après quoi, la mère fondatrice se cantonne à la
ponte.

103
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voit les couvains. Comment les œufs et les
larves peuvent-ils tenir sans tomber dans des alvéoles dirigées vers le
bas ? 103
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observe et comprend. Les nourrices collent œufs et
jeunes larves au plafond au moyen d’une sécrétion adhésive. Les guêpes n’ont
pas inventé que le papier et le carton, elles ont aussi découvert la colle.

Il faut dire que, dans le monde animal, le clou et les vis
n’ayant pas été inventés, la colle est le moyen le plus répandu pour lier les
matières. Certains insectes savent d’ailleurs fabriquer une colle si dure et au
séchage si rapide qu’elle se transforme en matière rigide en une seconde.

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remonte le couloir central. Il y a des
passerelles de carton à chaque étage. Chaque niveau est percé en son centre
d’un trou qui lui permet de communiquer avec les autres. L’ensemble est
cependant beaucoup moins impressionnant que la grande ruche d’or des abeilles.
Tout ici est gris et léger. Des ouvrières jaune et noir, le front bardé de dessins
effarants, fabriquent de la pâte à papier en broyant du bois. Elles en
tricotent ensuite des murs ou des alvéoles, en vérifiant régulièrement
l’épaisseur de leur ouvrage à l’aide de leurs antennes recourbées en pinces.

D’autres transportent de la viande : mouches et
chenilles anesthésiées qui ne comprendront que trop tard leur malchance. Une
partie de ce butin est destinée aux larves, ces vers affamés qui se tortillent
sans cesse pour réclamer à manger. Les guêpes sont les seuls insectes sociaux à
nourrir leur progéniture avec de la viande crue même pas triturée.

La reine des guêpes circule au milieu de ses filles. Elle
est plus grosse, plus lourde, plus nerveuse. 103
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la hèle de
quelques phéromones. L’autre consent à s’approcher et la vieille fourmi rousse
lui explique la raison de sa visite. Elle a plus de trois ans et sa mort est
proche. Or, elle est seule détentrice d’une information capitale qu’il lui faut
délivrer à sa cité natale. Elle ne veut pas mourir avant d’avoir accompli sa
mission.

La reine des guêpes papetières palpe 103
e
du bout
de ses antennes pour bien percevoir ses odeurs. Elle ne comprend pas pourquoi
une fourmi réclame de l’aide à une guêpe. Normalement, c’est chacun pour soi.
Il n’existe pas d’entraide entre les espèces. 103
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souligne que dans
son cas, il lui est impossible d’agir sans s’adresser à des étrangères. La
fourmi ne sait pas préparer la gelée hormonale indispensable à sa survie.

La reine des guêpes papetières répond qu’en effet, ici, on
sait concocter une gelée royale saturée d’hormones mais elle ne voit pas
pourquoi elle en donnerait à une fourmi. Le produit est un bien précieux à ne
pas gaspiller.

103
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émet avec beaucoup de mal une phrase
phéromonale qui décolle de ses antennes et arrive une seconde plus tard aux
antennes de la reine des guêpes.

Pour avoir un sexe.

L’autre est étonnée. Pourquoi vouloir un sexe ?

 

59. ENCYCLOPÉDIE

 

TRIANGLE QUELCONQUE
 : Il est parfois plus difficile d’être
quelconque qu’extraordinaire. Le cas est net pour les triangles. La plupart des
triangles sont isocèles (2 côtés de même longueur), rectangles (avec un
angle droit), équilatéraux (3 côtés de même longueur).

Il y a tellement de
triangles définis qu’il devient très compliqué de dessiner un triangle qui ne
soit pas particulier ou alors il faudrait dessiner un triangle avec les côtés
les plus inégaux possibles. Mais ce n’est pas évident. Le triangle quelconque
ne doit pas avoir d’angle droit, ni égal ni dépassant 90°. Le chercheur Jacques
Loubczanski est arrivé avec beaucoup de difficulté à mettre au point un vrai
« triangle quelconque ». Celui-ci a des caractéristiques très…
précises. Pour confectionner un bon « triangle quelconque » il faut
associer la moitié d’un carré coupé par sa diagonale, et la moitié d’un
triangle équilatéral coupé par sa hauteur. En les mettant l’un à côté de
l’autre, on doit obtenir un bon représentant de triangle quelconque. Pas simple
d’être simple.

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