Read La Bible du crime (NON FICTION) (French Edition) Online
Authors: Stéphane Bourgoin
Découverte du vol de
La Joconde
de Léonard de Vinci, au musée du Louvre.
A
ncien employé du Louvre, Vincenzo Perrugia, âgé de 30 ans, se laisse un jour enfermer dans le musée toute une nuit. Il décroche la
Mona Lisa
, retire le cadre et quitte l’établissement le lendemain, avec la toile cachée sous ses habits. Après l’avoir gardée à Paris pendant deux ans, il s’installe à Florence où il tente de la vendre à une galerie d’art de la ville. Pour sa défense, il affirme avoir effectué un « acte patriotique » en restituant le tableau à l’Italie. Il est rendu au Louvre en 1914, après l’arrestation de Vincenzo Perrugia, condamné à un an et quinze jours de prison.
Arrestation du « Vampire de la Villette ».
V
oici le récit que fait Maurice Aubenas en 1930 de cette histoire hors normes :
« Dans la nuit du 23 août 1928, les locataires d’un modeste hôtel meublé, rue Serpente, furent tout à coup réveillés par les cris stridents d’une femme. Ces cris semblaient provenir d’une chambre mansardée située au sixième étage de l’immeuble.
Tout d’abord nul ne bougea de son lit. À quoi bon ?… Il n’était pas rare dans l’hôtel d’entendre des cris pareils ! La maison plus que borgne faisait, à peu près chaque semaine, l’objet de perquisitions de la police qui y ramassait, à chaque visite, une riche moisson de souteneurs et de filles soumises.
L’immeuble, lui-même, qui s’étage, lamentable, dans un renfoncement de la rue, porte, comme une effigie dans les larges croûtes de lèpre qui rongent sa façade, d’une fenêtre à l’autre, le stigmate écœurant d’une misère honteuse, viciée et déshonorante. Un bouge ! Avec son étroit escalier dont les marches de pierre montent, usées, en un colimaçon rapide dans la nuit empestée vers les étages supérieurs. Un bouge, dont le rez-de-chaussée se complique d’un bistrot aux rideaux rouges ; véritable coupe-gorge.
À deux heures du matin, les cris de la femme, plus déchirants que les premiers, crevèrent une fois encore le lourd silence. Une fois de plus, les locataires éveillés ouvrirent les yeux et se retournèrent sur leur grabat en attendant le sommeil… Tout à coup, contre la porte d’entrée de l’hôtel plusieurs personnes frappèrent vigoureusement. Un mot fit tressaillir tout le monde : “Police, ouvrez…”
La police ! Encore la police ! Mais elle était passée il y a à peine trois jours. Bah ! Bébert, le patron de l’hôtel, se leva en maugréant et, chaussé de pantoufles, alla ouvrir.
Sur le trottoir, six agents. Aucun commissaire, aucun inspecteur n’étaient avec eux… Il ne s’agissait donc pas cette fois-là d’une rafle ou d’une descente légale de police. D’une voix empâtée, Bébert demanda aux policiers :
— Qu’est-ce donc qui vous amène ici, mes bons messieurs ?
Un brigadier lui répondit en désignant du doigt le sixième étage de l’hôtel :
— Vous logez donc des fous, là-haut ? Qu’est-ce qu’elle a à hurler la bonne femme ?
— Quelle bonne femme ? demanda Bébert. Ah ! Là-haut à la fenêtre éclairée. C’est rien… Chaque soir, avec ceux-là, c’est la même histoire. Un jeune ménage, deux poulets de grain. De l’amour, n’est-ce pas !… Et puis elle, la petite, là-haut, non… Vous comprenez…
Tous se mirent à rire. Mais le rire resta figé sur les lèvres. Une fois de plus, la “petite” du sixième étage venait de hurler de douleur. Cette fois, il n’y avait pas à se tromper sur la nature du cri désespéré. Quelqu’un devait tenter d’étrangler la malheureuse. Les agents n’hésitèrent plus. Tous les six se précipitèrent dans l’immeuble et bondirent dans l’étroit escalier.
Une vision d’enfer. Deux souffles rauques, deux agents tendirent
les jarrets, une secousse, un bruit sourd, le panneau de la porte vola en éclats. Tout d’abord, les policiers ne virent sur une cheminée qu’une lampe à pétrole qui filait dans un verre ébréché une longue et fragile fumée noire. Sur le parquet de carreaux rouges du linge, des vêtements étaient éparpillés. Sur une chaise boiteuse, dont la paille était ébouriffée, était placée une cuvette de fer-blanc pleine d’eau savonneuse. Dans une cage pendue à la fenêtre, deux oiseaux pépiaient doucement. Aucun meuble, mais à droite dans l’étroite pièce mansardée un lit de fer et, là, une vision d’enfer. Complètement dévêtue, une malheureuse femme, dont les longs cheveux blonds défaits traînaient sur la descente de lit râpée et maculée de larges taches de graisse, était couchée en travers du lit, la gorge complètement sectionnée. Sa tête pendait hors du grabat et cette posture semblait lui faire ouvrir démesurément ses grands yeux bleus horrifiés. Au-dessous de sa bouche, d’où s’échappait un bouillonnement de sang, s’ouvrait, allant du menton aux seins et d’une oreille à l’autre, une plaie béante aux bords des lèvres de laquelle, par morceaux le sang se coagulait déjà comme une croûte de peinture brune.
À genoux sur le lit, semblant prier près du corps de la morte, un homme dévêtu également, le visage barbouillé de sang. Il paraissait pétrifié tant il était immobile et pâle.
À travers la partie du panneau de la porte qui avait été défoncé, un agent passa son bras armé d’un énorme revolver :
— Pas un geste, lança-t-il à l’homme, ou je te brûle !
L’assassin détourna la tête, fixa d’un regard vague ceux qui étaient occupés à forcer sa porte, puis, sans un mot, lança au milieu de la pièce un rasoir à manche de corne blanche qu’il tenait encore dans l’une de ses mains.
La porte enfin tourna sur ses gonds. Deux agents bondirent sur l’homme, qui, toujours immobile, se laissa ceinturer sans résistance.
Conduit au poste de police du quartier, l’homme couvert de sang, dut répondre à un premier interrogatoire :
— Comment t’appelles-tu ?
D’une voix faible, le meurtrier déclina son identité :
— Maillard, Antoine-Joseph (le nom de l’assassin a été volontairement déformé par respect pour sa famille), 25 ans, natif de Nice, demeurant à Paris depuis cinq mois, sans domicile fixe.
— Ta profession ?
Maillard hésita, puis il déclara :
— Sculpteur, élève des Beaux-Arts ; actuellement…
— Actuellement ?…
— Tueur à la Villette, chez M. Blanc.
Grande stupéfaction dans le commissariat. Rires gras, exclamations narquoises, quolibets… Un élève des Beaux-Arts tueur à la Villette ! L’homme devait se moquer de la police. Cependant rien n’était plus exact. Maillard exhiba ses “papiers” et l’on dut se rendre à l’évidence.
Issu d’une famille très honorable, Antoine Maillard était venu à Paris afin de poursuivre ses études de sculpteur. Chaque mois, il recevait onze cents francs extirpés de la bourse paternelle. Ses études ? Depuis trois mois, il n’était pas reparu à l’école des Beaux-Arts. Par contre, à la Villette, le jeune étudiant était devenu un “tueur” réputé, ponctuel, faisant l’admiration des professionnels. Aux abattoirs, on ne lui reprochait que deux défauts : Maillard ne parlait jamais à personne et il avait l’habitude écœurante d’essuyer la lame de son couteau, après chaque victime immolée, de deux coups de langue.
Inculpé d’homicide volontaire, le jeune assassin fut incarcéré dans le quartier de la “Grande Surveillance” à la prison de la Santé, à Paris.
Un original désespéré
Maillard fut, au début de son incarcération, un détenu modèle. Calme, poli, il occupait alors une spacieuse cellule au rez-de-chaussée de la 7
e
division, quartier spécialement réservé aux grands criminels ainsi qu’aux “douteux”, c’est-à-dire ceux qui sont accusés de meurtre sans qu’on ait la preuve formelle de leur crime. Maillard, disions-nous, était un détenu à qui l’administration pénitentiaire n’avait rien à reprocher. Levé à sept heures du matin, il pliait, selon le règlement de la prison, son lit de fer contre le mur. Sa toilette faite et sa cellule balayée, il joignait les mains et, droit, le visage tourné vers sa fenêtre, récitait à mi-voix une longue prière. Après la promenade de chaque matin, Maillard se faisait remettre par ses gardiens de la mie de pain et, transformant celle-ci en une sorte de terre à modeler, durant toute la journée à coups de pouce il confectionnait des petites statuettes originales.
Un jour qu’il était arrivé à amasser une grosse quantité de mie de pain, il réalisa un étrange sujet : Sur un lit, dans le froissement
des draps qui tombaient en plis savants, une femme toute nue, couchée en travers et dont la tête tombait vers le parquet dans un bouillonnement de cheveux, était parfaitement sculptée. Près d’elle, à genoux sur le même lit, un homme, nu également, les mains jointes dans l’attitude de la prière, semblait méditatif. Çà et là, sur une plaque de mie de pain qui représentait un parquet de carreaux usés et disjoints, des vêtements traînaient, une cuvette était posée sur une chaise à laquelle un pied manquait.
Maillard avait reproduit là l’image exacte de son horrible crime.
Devant le fini de ce travail et l’art dont le détenu avait dû faire preuve pour mener à bien son ouvrage, cette sculpture fit beaucoup d’envieux. C’était parmi les gardiens de la Santé une véritable lutte pour obtenir le chef-d’œuvre de la mie de pain. Des plus lointaines divisions de la prison, on venait “voir ça”. Directeur, sous-directeur, économe, gardien chef vinrent rendre visite au prisonnier-sculpteur. Aux questions qui lui étaient posées, Maillard répondait invariablement :
— C’est un sujet inspiré de Baudelaire, mais que j’ai interprété à ma façon.
Comme tout le monde, un jour, le docteur qui s’occupe du service médical de la prison vint admirer le chef-d’œuvre. À peine avait-il fini de regarder sous toutes ses faces l’étrange maquette que le médecin se retourna vers le détenu et lui demanda :
— Pourquoi as-tu choisi ce sujet ?
Maillard baissa la tête.
Ce geste fut suffisant pour convaincre le praticien. Une heure après, un gardien accrochait au-dessus du guichet de la cellule du jeune assassin une petite pancarte ainsi libellée :
“Antoine Maillard, cellule 15, 7
e
division. À surveiller étroitement dans tous ses mouvements au point de vue suicide.”
Le médecin avait raison.
Nous avons dit plus haut qu’au moment de la découverte du crime, les agents avaient remarqué, non sans surprise, que le criminel avait le visage complètement recouvert de sang. N’ayant aucune blessure à la tête, la présence de ce sang ne manqua pas d’intriguer le commissaire de police. À la question qui lui fut posée, à ce sujet, Maillard se contenta de répondre :
— C’est au moment où j’ai tranché l’artère carotide de la femme qu’un jet de sang m’a giclé au visage.
Et ce fut tout. Cependant le médecin de la prison qui avait eu, à plusieurs reprises, l’occasion d’examiner le prisonnier et qui avait eu l’heur, également, d’obtenir de celui-ci quelques aveux au sujet de ses mœurs, était convaincu que le tueur de la Villette était surtout un sadique et de plus un “vampire”.
Le praticien ne se trompait pas. Nous allons voir comment Maillard dévoila la terrifiante passion qui le rongeait et qui, d’un élève des Beaux-Arts, fit de lui un tueur de bestiaux pour devenir rapidement l’assassin d’une fille soumise.
Dans sa cellule, Maillard continua à travailler à son sujet préféré, la “scène du crime”. Chaque jour, il y ajoutait un nouveau détail et fignolait son chef-d’œuvre. Plusieurs fois, cependant, les gardiens le surprirent au moment où, assis devant sa table, il pressait entre ses doigts la tête de la femme morte fabriquée en mie de pain. Celle-ci restée molle, étant très souvent humectée d’eau, prenait selon la pression des doigts du misérable une physionomie différente qui allait d’une figure déformée et ridicule jusqu’à l’expression d’un visage tordu par une atroce douleur, arrivé à ce résultat, l’étrange artiste paraissait satisfait puis tout à coup il plantait l’ongle de son pouce dans la gorge de la statuette et lentement détachait la tête du corps.
À plusieurs reprises, ses gardiens, qui ignoraient tout de l’horrible folie du jeune assassin, lui demandèrent :
— Pourquoi donc, chaque nuit, coupes-tu la tête à la “bonne femme” ?
Maillard, hésitant, leur répondait :
— Je ne suis jamais satisfait de cette tête. Parfois elle est trop grosse et ridicule quand elle n’est pas sans expression.
Comme nos lecteurs l’ont déjà compris, le détenu mentait, cachant ainsi le mal secret qu’il portait en lui. En réalité, il était atteint de “monomanie sanguinaire”.
En prison, seul dans sa cellule, n’ayant d’autre distraction que de compulser, chaque jour, feuillet par feuillet, le livre ouvert de son bref passé, le prisonnier sentait empirer les effets de son horrible passion. De toute sa vie, le souvenir le plus précieux qu’il aimait à invoquer dans sa prison était la nuit du 23 août, où il avait éprouvé
enfin le savoureux bonheur de torturer une pauvre fille qu’il avait payée de ses derniers deniers, et qu’il avait égorgée sauvagement, la décapitant presque pour se repaître de son sang chaud.
La première période du séjour en prison fut tout d’abord pour lui un immense soulagement. Les murs épais obtenaient enfin ce que sa volonté n’avait pas pu obtenir. Ses instincts affreux étaient bien vaincus. Puis, peu à peu, le calme étant revenu, sa pensée dévia sous la poussée de ses désirs. Sa monomanie le reprit et, cette fois-ci, d’autant plus cruellement qu’il n’avait aucune possibilité de pouvoir se satisfaire. C’est à ce moment que le souvenir de son crime le hanta nuit et jour. Cette hideuse image, il la revoit avec joie, avec passion. Il l’enjolive même, y ajoutant des détails atroces qui lui laissent le regret de ne pas les avoir vécus. Si dans sa prison quelqu’un ayant voulu lui sonder l’âme lui avait demandé :
— Que préfères-tu de tout ce qui est ta vie ?
Nul doute que Maillard aurait répondu :
— Mon crime !…
C’est donc poussé par cette obsession qu’il conçut le projet de modeler en mie de pain la “scène de crime”. Son sujet terminé, seul, en secret, il émoussa sa passion en examinant sur toutes ses faces cette femme dont la bouche se tordait d’un atroce rictus. Puis l’idée lui vint, afin d’ajouter un peu de vie à cette scène, de presser entre ses doigts la tête de mie de pain, afin de faire grimacer le visage. Il réussit. Mais ce ne fut pas tout. Son imagination maladive, un instant satisfaite, fit renaître, en lui, le désir, de plus en plus puissant, de boire du sang. Maillard traversa alors une terrible crise. N’ayant pas la possibilité de le faire, durant plusieurs nuits, comme un fauve, l’homme tourna à grands pas dans sa cellule. Ses gardiens, qui ne le quittaient pas des yeux et qui sont pour la plupart des observateurs consommés, se dirent selon leur expression :
— Maillard commence à sentir son crime lui tourner sur l’estomac.
Un jour, alors qu’il allait à la promenade à la suite de ses codétenus, qui se rendaient au promenoir en file indienne, espacés les uns des autres de trois mètres environ, Maillard vit sur le parquet de ciment une mince bande de fer-blanc, longue comme le doigt, qui brillait dans l’ombre d’un recoin de mur. Le détenu, à la vue de ce morceau de fer, eut aussitôt un désir subit : le ramasser. Pendant la promenade qui dura environ un quart d’heure, il mit toute son
intelligence en œuvre pour savoir comment il pourrait, sous les yeux des gardiens, se baisser et ramasser cette lame de fer.