La Révolution des Fourmis (90 page)

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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

BOOK: La Révolution des Fourmis
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« Avec l’apport de nos technologies humaines, tous
leurs pouvoirs seront surdimensionnés. Je sais, mesdames et messieurs, cela,
pour certains d’entre vous, paraîtra aberrant. Je pense cependant que nous ne
pouvons pas courir le risque de vérifier cette hypothèse.

« En conséquence, il nous faut détruire les fourmis et,
en priorité, ces fameuses fourmis “civilisées” qui se sont approprié la forêt
de Fontainebleau. Je le sais, quelques-uns parmi vous les trouvent
sympathiques. D’autres estiment qu’elles peuvent nous aider et qu’elles ont des
choses à nous apprendre. Ils se trompent.

« Les fourmis sont le pire fléau que l’humanité ait
jamais connu. Une seule cité fourmi tue chaque jour proportionnellement plus
d’animaux qu’un pays humain tout entier.

« Elles écrasent d’abord, puis utilisent comme du
bétail toutes les espèces vaincues. Aux pucerons, par exemple, elles coupent
les ailes pour mieux les traire. Après les pucerons, ce serait un jour notre
tour.

« Ayant pris conscience du danger que représentent les
fourmis intelligentes pour l’humanité, j’ai décidé en tant qu’humain, moi,
Maximilien Linart, de détruire la partie de la forêt de Fontainebleau qui, en
raison de l’insouciance d’un groupuscule d’humains, grouille maintenant de
fourmis initiées à notre technologie. Et si c’est nécessaire, je réduirai en
cendres la forêt tout entière.

« J’ai longuement réfléchi et pensé à l’avenir. Si nous
ne détruisons pas maintenant ces vingt-six mille hectares de forêt contaminés,
il nous faudra sans doute un jour détruire toutes les forêts du monde. Pour
l’heure, cette infime amputation évitera une gangrène générale. Le savoir est
comme une maladie contagieuse.

La Bible nous enseigne qu’Adam aurait dû résister à la
tentation de croquer la pomme du savoir. Ève l’a incité à commettre l’irréparable.
Mais nous, nous pouvons empêcher les fourmis de connaître cette malédiction.

« J’ai placé des bombes incendiaires dans la zone
forestière où se trouvent les fourmilières contaminées par les idées de 103
e
.

« Inutile d’essayer de m’arrêter. Je suis solidement
barricadé dans ma maison et le système de mise à feu des bombes incendiaires,
sous le contrôle de mon ordinateur, sera juste après ce message débranché du
réseau, donc, aucun risque de voir son programme modifié de l’extérieur.

« N’essayez pas de m’arrêter. Si, toutes les cinq
heures, je n’inscris pas une formule codée sur le clavier de mon ordinateur,
tout explosera, chez moi et dans la forêt.

« Je n’ai plus rien à perdre. Je sacrifie ma vie pour
mon espèce. Il pleut aujourd’hui et j’attendrai que le beau temps revienne pour
déclencher l’incendie forestier. Si je devais périr dans un assaut inconsidéré,
que l’humanité considère cela comme mon testament et qu’un autre prenne la
relève. »

Des journalistes coururent transmettre leurs papiers. Des gens
qui ne se connaissaient pas s’interpelèrent dans le prétoire.

Le préfet Dupeyron, qui s’était déplacé pour entendre
l’énoncé du verdict de ce procès sans précédent, réquisitionna dans la minute
le bureau du juge. Il décrocha le téléphone, en priant pour que le commissaire
n’ait pas eu la mauvaise idée d’arracher sa ligne.

Dieu merci, Linart répondit à la première sonnerie.

— Quelle mouche vous pique, commissaire ?

— De quoi vous plaignez-vous, monsieur le préfet ?
Vous souhaitiez vous débarrasser d’un pan de forêt pour laisser libre place aux
projets hôteliers d’un groupe japonais, vos souhaits seront exaucés. Vous aviez
raison. Cela créera des emplois et contribuera à résorber le chômage.

— Mais pas ainsi, Maximilien. Il existe des moyens plus
discrets de s’y prendre…

— En incendiant cette maudite forêt, je sauverai
l’humanité entière.

Le préfet avait la gorge sèche et les mains moites.

— Vous êtes devenu fou, soupira-t-il.

— Certains penseront cela au début mais, un jour, on me
comprendra et on m’érigera des statues en tant que sauveur de l’humanité.

— Mais pourquoi vous entêter à exterminer ces fourmis ?

— Vous ne m’avez donc pas écouté ?

— Mais si, mais si, je vous ai écouté. Vous redoutez à
ce point la concurrence d’autres animaux intelligents ?

— Oui.

Il y avait tant de détermination dans la voix du policier
que le préfet chercha un argument fort pour le convaincre.

— Vous vous imaginez ce qui se serait passé si les
dinosaures comprenant que les hommes allaient un jour former une civilisation
de taille plus réduite mais surpuissante, avaient systématiquement éliminés les
mammifères ?

— C’est exactement la bonne comparaison. Je crois qu’en
effet les dinosaures auraient dû se débarrasser de nous. Il aurait du y un
dinosaure héroïque qui, comme moi, comprenne l’enjeu sûr le long terme. Ils
seraient peut-être encore vivants à cette heure, répondit Linart.

— Mais ils étaient inadaptés à la planète. Trop gros,
trop balourds…

— Et nous ? Peut-être que les fourmis nous
trouveront aussi un jour gros et balourds. Et si on leur en donne la
possibilité, que feront-elles ?

Là-dessus il raccrocha.

Le préfet envoya ses meilleurs démineurs pour tenter de
repérer les bombes au phosphore disséminées dans la forêt. Ils en retrouvèrent
une dizaine, mais ils ne savaient pas combien en chercher et la forêt est
immense ; ils reconnurent alors la vanité de leurs efforts.

La situation semblait perdue. La population avait les yeux
rivés au ciel. Chacun savait maintenant que dès que la pluie cesserait, la
forêt s’embraserait.

Quelque part pourtant, quelqu’un murmura à voix basse :
« J’ai peut-être une idée… »

 

237. ENCYCLOPÉDIE

 

CHANTAGE
 : Tout ayant été exploité, il n’existe qu’un
seul moyen pour créer de nouvelles richesses dans un pays déjà riche : le
chantage. Cela va du commerçant qui ment en affirmant : « C’est le
dernier article qui me reste et si vous ne le prenez pas tout de suite, j’ai un
autre client qui est intéressé », jusqu’au plus haut niveau, le
gouvernement qui décrète : « Sans le pétrole qui pollue, nous
n’aurions pas les moyens de chauffer toute la population du pays cet hiver. »
C’est alors la peur de manquer ou la peur de rater une affaire qui va générer
des dépenses artificielles.

 

Edmond Wells,

Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu
, tome III.

 

238. SUR LE POINT D’IMPLOSER

 

Il plut toute la journée du samedi ; le soir, le ciel
se remplit d’étoiles et les spécialistes de la météorologie nationale
annoncèrent qu’il ferait beau le dimanche et que le vent soufflerait fortement
sur la forêt de Fontainebleau.

Si Maximilien n’avait pas particulièrement la foi, en la
circonstance il considéra que Dieu était avec lui. Il se vautra dans son
fauteuil, face à son ordinateur, heureux et conscient de l’importance de sa
mission sur terre. Puis il s’endormit.

Les portes étaient verrouillées, les volets barrés. Dans la
nuit, un visiteur parvint à s’introduire subrepticement dans le bureau du
commissaire. Le visiteur chercha l’ordinateur. L’appareil était en position de
veille, prêt à déclencher les bombes au cas où l’impression du code ne l’en
empêcherait pas. Le visiteur s’avança pour le neutraliser ; dans sa hâte,
il renversa un objet. Maximilien ne dormait que d’un œil, le bruit, pourtant
réduit, suffit à le réveiller tout à fait. D’ailleurs, il s’attendait à une
attaque de dernière minute. Il braqua son revolver sur le visiteur et appuya
sur la détente. Toute la pièce vibra quand le coup partit.

Le visiteur esquiva vivement la balle. Maximilien en tira
une deuxième qu’il esquiva de même.

Énervé, le commissaire rechargea son arme et visa à nouveau.
Le visiteur décida qu’il valait mieux se cacher quelque part. D’un bond, il
gagna le salon et se dissimula derrière les rideaux. Le policier tira mais le
visiteur baissa la tête et les balles passèrent au-dessus de son front.

Maximilien alluma les lumières. Le visiteur comprit qu’il
lui fallait changer de cachette au plus vite. Il se glissa derrière un fauteuil
au haut dossier sur lequel ricochèrent plusieurs balles.

Où s’abriter ?

Le cendrier. Il courut se blottir dans l’interstice entre un
vieux mégot de cigare froid et le bord. Le policier eut beau soulever coussins,
tentures et tapis, cette fois, il ne le trouva pas.

Reine 103
e
en profita pour reprendre haleine et
retrouver son calme. Elle procéda à un rapide lavage de ses antennes. Une reine
est généralement trop précieuse pour risquer ainsi sa vie. Elle n’est tenue que
de demeurer à pondre dans sa loge nuptiale. Cependant, 103
e
avait
compris qu’elle était seule au monde à être suffisamment « doigte » et
suffisamment fourmi pour réussir cette mission d’une importance capitale. Comme
l’enjeu était la destruction de la forêt et donc des fourmilières, elle avait
consenti à risquer le tout pour le tout.

Maximilien pointait toujours son revolver, tirant parfois
dans un coussin. Pour une cible si petite, il fallait cependant une arme
différente.

Maximilien alla chercher une bombe aérosol dans le placard
de la cuisine et vaporisa un nuage d’insecticide dans son salon. L’air s’emplit
de relents mortels. Heureusement, les minuscules poches pulmonaires de la
fourmi disposaient d’une grande autonomie. L’insecticide se diluant dans
l’important volume d’air de la pièce, respirer restait supportable. Elle
pouvait, certes, demeurer là une dizaine de minutes mais il n’y avait pas de
temps à perdre.

Reine 103
e
détala.

Maximilien pensa que si le seul adversaire que les autorités
et le préfet avaient trouvé à lui opposer était une fourmi, c’était qu’ils
n’avaient plus aucune idée. Il en était là, satisfait de ses réflexions, quand
la lumière s’éteignit. Comment était-ce possible ? Une minuscule fourmi
n’était quand même pas capable d’appuyer sur l’interrupteur.

Il comprit alors que la myrmécéenne s’était introduite dans la
centrale domotique. Cela signifiait-il qu’elle était apte à déchiffrer un
circuit imprimé et à reconnaître quel fil électrique couper ?

« Ne jamais sous-estimer l’adversaire ». C’était
le premier enseignement qu’il inculquait à ses élèves de l’école de police. Et
lui-même venait de commettre cette erreur uniquement parce que l’adversaire était
mille fois plus petit que lui.

Il se munit d’une lampe de poche halogène qu’il conservait
dans un tiroir de la commode. Il éclaira le dernier lieu où il avait cru voir
son visiteur. Il se dirigea ensuite vers le boitier du compteur et constata
qu’un fil électrique avait bel et bien été tranché à la mandibule.

Il se dit qu’il n’y avait qu’une seule fourmi capable de
faire ça 103
e
, leur reine dégénérée.

Dans l’obscurité, avec son sens olfactif surdéveloppé et sa
vision infrarouge détectrice de chaleur, la fourmi disposait désormais d’un
léger avantage. Seulement, c’était jour de pleine lune et Maximilien n’eut qu’à
ouvrir les volets désormais inutiles pour inonder la pièce d’une lumière
bleu-violet.

Il fallait se dépêcher. La fourmi retourna vers le bureau et
l’ordinateur. Francine lui avait appris comment s’y glisser par la grille
d’aération située à l’arrière. Elle suivit ses instructions à la lettre. 103
e
était maintenant dans la place. Il ne lui restait plus qu’à désactiver les
connexions qu’on lui avait indiquées. Elle marcha sur les plaques
électroniques. Ici, le disque dur. Là, la carte mère. Elle enjamba les
condensateurs, les transistors, les résistances, les potentiomètres et les
radiateurs. Tout vibrait autour d’elle.

Reine 103
e
sentait qu’elle se mouvait dans une
structure hostile. Mac Yavel était au courant de sa présence. Il ne possédait
pas d’yeux internes mais percevait d’infimes courts-circuits chaque fois que la
fourmi posait ses pattes sur une connexion en cuivre.

Si Mac Yavel avait eu des mains, il l’aurait déjà massacrée.

S’il avait eu un estomac, il l’aurait déjà digérée.

S’il avait eu des dents, il l’aurait déjà mâchée.

Mais l’ordinateur n’était qu’une machine inerte, constituée
de composants d’origine minérale. Reine 103
e
était en lui et se
remémorait le plan du circuit imprimé que lui avait indiqué Francine quand,
soudain, avec sa vision infrarouge, elle discerna à travers la grille
d’aération l’œil immense de son ennemi humain.

Maximilien reconnut la marque jaune sur son front et lui
envoya un nuage d’insecticide. Les ouvertures respiratoires de la fourmi
étaient encore béantes et elle toussotait quand un second nuage vint
transformer complètement l’intérieur de l’ordinateur en un port anglais dans la
brume. De l’air acide lui rongeait l’intérieur. C’était insupportable.

De l’air, vite
.

Elle sortit par la trappe du lecteur de disquettes et fut
accueillie par de nouveaux coups de feu. Elle zigzagua entre les balles qui
étaient pour elle comme autant de fusées. La lampe de poche ne la quittait pas
et elle galopait dans un rond de lumière.

Afin d’échapper au projecteur, elle galopa sous la porte du
bureau pour regagner le salon et s’enfoncer sous le pli d’un tapis. Le tapis
fut soulevé. Elle se blottit sous un fauteuil. Le fauteuil fut renversé.

La fourmi courut entre des chaussures, affolée. Il y avait
de plus en plus de Doigts à sa recherche. Au moins une dizaine. Elle se réfugia
dans la jungle de nylon d’un rebord de moquette épaisse.

Et maintenant ?

Elle agita les antennes et repéra un courant d’air
charbonneux. Elle quitta à toute vitesse la moquette et fonça vers le tunnel
vertical, en face d’elle. Excellent abri. Oui, mais le projecteur avait suivi
sa progression.

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