La Révolution des Fourmis (77 page)

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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

BOOK: La Révolution des Fourmis
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Princesse 103
e
, aux effluves qui montent vers
elle, se rend compte que l’humour n’intéresse pas vraiment son auditoire et,
pour conserver son attention, elle change de thème.

Elle explique que le Doigt n’a pas de carapace dure pour
protéger l’extérieur de son organisme, il est donc beaucoup plus fragile qu’une
fourmi. Une fourmi est capable de porter jusqu’à soixante fois son poids tandis
que le Doigt soulève au plus un poids équivalent au sien. De plus, une fourmi
peut chuter sans dommage d’une hauteur de deux cents fois sa taille alors qu’un
Doigt mourra s’il tombe d’une hauteur de ne serait-ce que trois fois sa taille.

L’auditoire, ou plutôt l’olfactoire, suit avec application
les vapeurs phéromonales de princesse 103
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et toutes les fourmis
sont contentes d’apprendre que, malgré leur taille imposante, les Doigts sont
vraiment très chétifs.

La princesse explique ensuite comment les Doigts se tiennent
en équilibre vertical sur leurs pattes arrière et 10
e
prend des
notes pour sa phéromone zoologique.

 

MARCHE :

Les Doigts marchent sur leurs deux pattes postérieures.

Ils peuvent ainsi apercevoir leurs congénères par-dessus
des broussailles.

Pour réussir cette prouesse, les Doigts écartent
légèrement leurs membres inférieurs, basculent leur articulation abdominale
pour déplacer leur centre de gravité vers l’avant et s’aident de leurs membres
supérieurs pour trouver l’équilibre.

Bien que cette position soit inconfortable, les Doigts
peuvent la tenir pendant de longs laps de temps.

Lorsqu’ils se sentent en déséquilibre, les Doigts lancent
une patte en avant et se récupèrent de justesse.

On appelle cela « marcher »
.

 

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effectue une petite démonstration. Elle
parvient maintenant à marcher une dizaine de pas d’affilée à l’aide de ses
béquilles en branchettes.

Il y a beaucoup de questions mais 103
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ne
s’attarde pas trop sur le sujet. Elle a tant d’éléments à communiquer à ses
troupes. Elle raconte que, chez les Doigts, il existe une hiérarchie des
pouvoirs et 10
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consigne d’une antenne fébrile :

 

POUVOIR :

Tous les Doigts ne sont pas égaux.

Certains ont droit de vie ou de mort sur les autres.

Ces Doigts « plus importants » peuvent ordonner
qu’on roue de coups des Doigts inférieurs ou qu’on les enferme dans des
prisons.

Une prison est une pièce fermée où il n’y a pas d’issue.

Chaque Doigt a un chef, lui-même soumis à un chef,
lui-même obéissant à un chef… et cela, jusqu’au chef national qui domine tous
les sous-chefs.

Comment sont désignés les chefs ?

Il s’agit d’une caste et les chefs sont choisis tout
simplement parmi les enfants des chefs déjà en place.

 

Cela dit, 103
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rappelle qu’elle n’a pas tout
compris du monde des Doigts. Elle a hâte de retourner là-bas pour compléter ses
connaissances car il reste beaucoup à découvrir.

L’immense bivouac remue des antennes. Les murs parlent aux
planchers, les portes discutent avec les plafonds.

Princesse 103
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se fraie un passage parmi les
corps jusqu’à une fenêtre vivante. Elle contemple l’horizon, à l’est. La
procession ne peut plus revenir en arrière. Elle s’est déjà aventurée trop
loin. Il n’y a plus d’autre alternative que réussir ou mourir.

Les escargots qui broutent en bas ne prennent pas part aux
discussions animées. Ils savourent paisiblement de pleines bouchées de trèfle.

Quatrième jeu
TRÈFLE
194. ENCYCLOPÉDIE

 

JEU DE CARTES
 : Avec cinquante-deux figures, le jeu de cartes
courant est en soi un enseignement, une histoire. Tout d’abord, les quatre
couleurs signifient les quatre domaines de mutations de la vie. Quatre saisons,
quatre émotions, quatre influences de planète…

1 . Le
cœur : le printemps, l’affectif, Vénus.

2 . Le carreau :
l’été, les voyages, Mercure.

3 . Le
trèfle : l’automne, le travail, Jupiter.

4 . Le
pique : l’hiver, les difficultés, Mars.

Les chiffres, les
personnages ne sont pas choisis au hasard. Tous signifient une étape de
l’existence humaine. C’est pourquoi le jeu de cartes banal a été aussi bien que
le tarot utilisé comme art divinatoire. Par exemple, on prétend que le six de
cœur signifie la réception d’un cadeau ; le cinq de carreau, la rupture
avec un être cher ; le roi de trèfle, la célébrité ; le valet de
pique, la trahison d’un ami ; l’as de cœur, une période de repos ; la
dame de trèfle, un coup de chance ; le sept de cœur, un mariage. Tous les
jeux, y compris ceux qui paraissent les plus simples, recèlent d’antiques
sagesses.

 

Edmond Wells,

Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu
, tome III.

 

195. LES ÉMISSAIRES DE LA DÉESSE

 

Julie et ses amis du troisième volume en avaient tant vu
dans la journée qu’ils étaient trop excités pour dormir.

En guise de calmant, Paul ouvrit une flasque d’hydromel,
« Cuvée révolutionnaire », qu’il avait sauvée du lycée. Ji-woong
proposa ensuite une partie du jeu d’Éleusis.

Chacun posa à son tour une carte sur une longue rangée.

— Carte entrant dans l’ordre du monde. Carte refusée
dans l’ordre du monde, annonçait tour à tour Léopold, prenant très au sérieux
son rôle de dieu temporaire.

Les autres ne parvenaient pas à découvrir la loi inventée
par Léopold. Ils avaient beau scruter les suites de cartes acceptées ou
refusées, ils n’y discernaient aucun rythme, aucune régularité, aucune loi.
Plusieurs avaient bien tenté de jouer les prophètes mais, chaque fois, Léopold
avait rejeté leur interprétation de sa pensée divine.

Julie finit par se demander s’il ne se prononçait pas au
hasard. Parfois, il disait oui, parfois, il disait non et elle ne trouvait pas
de raison à ses choix.

— Aide-nous un peu. J’ai l’impression que les chiffres
et les couleurs des cartes n’ont aucune importance dans ta loi.

— En effet.

Tous finirent par renoncer. Quand ils exigèrent la solution,
Léopold sourit.

— C’était pourtant simple. Ma loi : « Une
fois, une carte dont la dénomination s’achève par une voyelle, une fois, une
carte dont la dénomination s’achève par une consonne. »

Ils le battirent à coups de polochon.

Ils se lancèrent encore dans plusieurs parties. Julie pensa
qu’en fin de compte, de leur Révolution des fourmis il ne restait plus que des
symboles : le dessin du drapeau aux trois fourmis disposées en Y, la
devise 1 + 1 = 3, le jeu d’Éleusis et l’hydromel.

On veut changer le monde, et on ne laisse dans la mémoire
des hommes que quelques broutilles. Edmond Wells avait raison. Toutes les
révolutions manquent d’humilité.

La jeune fille aux yeux gris clair posa une dame de cœur sur
la table. « Carte refusée », dit Léopold, qui en parut navré.

— Le refus d’une carte est parfois plus riche d’informations
que son acceptation, dit Zoé en se proposant comme prophète.

Grâce à l’échec de Julie, Zoé avait compris la loi de cette
partie.

Ils se passèrent l’hydromel. Ils se sentaient bien à jouer
ensemble à ce drôle de jeu. Tout à leurs cartes, ils en arrivaient à oublier où
ils se trouvaient. Ils parlaient de tout, en évitant d’aborder l’absence de
Narcisse. Une fois constitué un cercle, on ne peut plus le reconstituer
différemment. Un membre manque et tous se sentent estropiés.

Arthur entra dans la pièce.

— Je suis parvenu à entrer en communication avec votre
université américaine de San Francisco.

Ils se précipitèrent dans la salle des ordinateurs. Francine
avait demandé au vieil homme de rechercher la mémoire de leur serveur
« Révolution des fourmis ». Il s’affichait à présent sur le petit
écran. Francine s’installa au clavier et discuta avec les gens de San
Francisco. Une fois son identité prouvée, ils consentirent volontiers à
basculer de nouveau par voie téléphonique hertzienne l’ensemble de leur savoir.

En cinq minutes, l’ordinateur de la pyramide s’emplit de la
mémoire de la Révolution. Miracle des technologies de pointe, tout renaissait.
Une à une, ils rouvrirent les filiales. Le « Centre des questions » s’était
mis en hibernation. David le réactiva. Le monde virtuel d’
Infra-World
avait en revanche continué à fonctionner dans l’ordinateur-hôte. Apparemment,
il était capable de prendre ses aises tel un bernard-l’ermite dans quelque
coquille qui l’héberge.

Julie, qui un instant plus tôt avait craint de ne conserver
comme souvenirs que l’hydromel et l’Éleusis, s’émerveilla de voir sa révolution
reprendre vie comme une éponge déshydratée à nouveau plongée dans l’eau. Ainsi
donc, une Révolution pouvait ne disposer d’aucune assise physique et être réactivée
à tout moment, n’importe où et par n’importe qui. L’immortalité par
l’informatique, aucune révolution précédente n’y avait accédé.

Ils retrouvèrent les représentations des vêtements de
Narcisse, les plans architecturaux de Léopold et même les recettes de Paul. Ji-woong
remit en route les réseaux et annonça au monde entier que les révolutionnaires
des fourmis étaient vivants, cachés quelque part, et que leur mouvement
continuait.

Pour ne pas être repérés, ils centralisaient les
informations sur l’université de San Francisco qui relayait ensuite par
satellite leurs messages.

En regardant les lumières qui clignotaient, répandant la
nouvelle de leur réveil, Julie ne comprenait plus comment ils avaient échoué au
lycée de Fontainebleau.

Francine prit la place de Ji-woong et lança son programme.

— Il me tarde de voir comment
Infra-World
a
évolué.

Elle constata que son monde virtuel avait connu une
croissance exponentielle. Ses habitants avaient dépassé le temps de référence
du monde réel et vivaient désormais en 2 130. Ils avaient découvert de
nouveaux modes de locomotion à partir de l’énergie électromagnétique et de
nouvelles médecines fondées sur les ondes. Bizarrement, au niveau des
technologies ils avaient opté pour des choix esthétiques et mécaniques très
différents. Ils avaient notamment copié la nature. C’est-à-dire pas
d’hélicoptères mais des avions qui battent des ailes baptisés ornithoptères.
Pas d’hélices pour les sous-marins mais des engins prolongés par une longue
queue mobile qui bat en cadence. Etc. Francine observa ce monde parallèle et
perçut quelque chose qui clochait. Elle zooma sur les entrées des villes et eut
un sursaut.

— Ils ont tué les « hommes-ponts » !

En effet, à l’entrée des villes, ses espions avaient été
pendus, bien en évidence, à des gibets.

Politiciens, publicitaires et journalistes n’avaient pas
arrêté les mains vengeresses, comme si les habitants d’
Infra-World
avaient tenu à adresser un message aux habitants du monde supérieur.

— Ils ont donc compris qu’ils n’étaient qu’une illusion
informatique. Ils ont peut-être déduit que j’existais, articula Francine,
bouleversée.

Elle circula dans son
Infra-World
pour mieux
comprendre ce qu’il s’y passait et, partout, elle aperçut des inscriptions
demandant aux dieux, au cas où ils les voyaient, de rendre leur liberté aux
habitants virtuels.

« Dieux, laissez-nous en paix. »

Ils avaient peint leur demande sur les toits de leurs
maisons, l’avaient gravée sur leurs monuments, inscrite à la tondeuse sur leurs
pelouses.

Ils avaient donc pris conscience de ce qu’ils étaient et du
lieu où ils vivaient. Francine aurait aimé leur montrer le jeu Évolution pour
qu’ils voient ce qu’est un monde sous contrôle complet du dieu joueur.

En tant que déesse, elle leur avait offert le libre arbitre.
Elle n’intervenait pas dans leur vie. Ils pouvaient même laisser apparaître un
tyran sanguinaire, elle avait décidé de ne pas imposer de morale et de
respecter leurs choix, fussent-ils mauvais, fussent-ils suicidaires.

N’est-ce pas la plus grande preuve de respect d’un dieu pour
son peuple émancipé ? Elle ne les dérangeait que pour tester des lessives
et des concepts nouveaux, et même cela ils ne l’acceptaient pas…

Peuple ingrat.

Francine continua de circuler dans les villes. Partout, les
corps de ses hommes-ponts étaient exhibés, atrocement mutilés, et les
infraworldiens exigeaient de s’émanciper de la tutelle de Francine. Elle
scrutait l’écran quand, soudain, il lui explosa au visage.

 

196. ENCYCLOPÉDIE

 

MOUVEMENT GNOSTIQUE
 : Dieu a-t-il un dieu ? Les premiers
chrétiens de l’Antiquité romaine ont eu à lutter contre un mouvement hérétique
qui en était convaincu, le gnosticisme. En effet, au deuxième siècle
après J.- C., un certain Marcion affirma que le Dieu qu’on priait
n’était pas le Dieu suprême mais qu’il y en avait un autre, supérieur encore,
auquel il était lui-même tenu de rendre des comptes. Pour les gnostiques, les
dieux s’emboîtaient les uns dans les autres comme des poupées russes, les dieux
des mondes les plus grands incluant les dieux des mondes les plus petits.

Cette croyance, appelée
aussi
bithéisme
, fut notamment combattue par Origène. Simples chrétiens
et chrétiens gnostiques se déchirèrent longtemps pour déterminer si Dieu avait
lui-même un dieu. Les gnostiques furent finalement massacrés et les rares qui
subsistent pratiquent leur culte dans la discrétion la plus totale.

 

Edmond Wells,

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