La Révolution des Fourmis (81 page)

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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

BOOK: La Révolution des Fourmis
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Les douze jeunes exploratrices galopent tout le long de la
colonne pour prier les marcheuses de rester à bonne distance des Doigts.

Devant, des fourmis grimpent sur les trois Doigts couchés,
montagnes tièdes et figées.

Autour, on déplore des milliers de pèlerins qui, ayant
escaladé des dieux, ont été emportés par eux dans une course folle.

Princesse 103
e
conseille de garder son calme.
Elle stoppe ses troupes. Elle interdit de manger les Doigts ou même de les
mordre. Elle demande à tout un chacun de ne pas s’affoler devant l’importance
de cet instant délicat.

Puis, le calme revenu, elle essaie de masquer son affolement
et inspecte la colline. 24
e
et les douze jeunes exploratrices
perçoivent que quelque chose ne va pas. Tout a été si brusque et maintenant
tout est si paisible. Trop paisible.

Les escargots sortent leur tête de leur coquille.

Princesse 103
e
erre parmi les fougères et
retrouve la bouche d’aération affleurant le sol, par laquelle elle s’est enfuie
du nid des Doigts.

Elle se perche sur un rocher et s’adresse à la foule. Elle
dit que cette colline est un de leurs nids et que les Doigts qui y vivent sont
parmi les rares à savoir parler le langage olfactif. C’est une aubaine à
saisir.

Elle va y descendre d’abord seule pour dialoguer avec eux et
elle reviendra ensuite rendre compte de son entrevue.

En attendant, elle confie la responsabilité de la longue
marche aux bons soins de 24
e
et des douze jeunes exploratrices.

 

 

 

Tandis que les fourmis volantes téléguidées filmaient la
nappe noire recouvrant la colline, il y eut comme un grattement à l’une des
grilles d’aération. Arthur alla voir et aperçut une fourmi de bonne taille
équipée de petites ailes. Elle tenait une brindille dans ses mandibules pour
gratter plus fort.

Il demanda qu’on la laisse entrer. On discernait une marque
jaune sur son front et le visage du vieillard s’illumina.

103
e
.

103
e
était de retour.

— Bonjour, 103
e
, prononça-t-il, très ému.
Ainsi, tu as tenu ta promesse, tu es revenue…

La fourmi rousse, bien incapable évidemment de comprendre
ces paroles auditives, remua à tout hasard ses antennes à la réception des
odeurs buccales d’Arthur.

— Et tu as des ailes, désormais, s’émerveilla le vieil
homme. Ah ! nous avons sûrement beaucoup de choses à nous dire…

Il prit précautionneusement 103
e
entre ses doigts
et la porta jusqu’à la « Pierre de Rosette ».

Tous les gens de la pyramide se rassemblèrent autour de la
machine dans laquelle 103
e
s’installait à son aise et mettait comme
autrefois ses antennes en contact avec les tiges du bocal.

— Bonjour, 103
e
.

La machine grésilla et la voix synthétique répondit enfin :

— 
Salutations, Arthur
 !

Arthur fixa les autres d’un œil fiévreux et leur demanda de
retourner à leurs écrans. Finalement, il préférait parler seul à seul avec son
amie. Tous comprirent que le vieillard était bouleversé par ces retrouvailles
et s’éloignèrent.

Pour être sûr d’être seul à écouter la fourmi, Arthur se
coiffa d’un casque audiophonique et, ensemble, ils se confièrent ce qu’ils
avaient à se confier.

 

212. ENCYCLOPÉDIE

 

NOS ALLIÉS DIFFÉRENTS
 : L’histoire a connu de nombreux cas de
collaboration militaire entre humains et animaux, sans que les premiers aient
jamais pris la peine de demander l’avis des seconds.

Durant la Seconde Guerre
mondiale, les Soviétiques dressèrent ainsi des chiens antitanks. Harnachés
d’une mine, les canidés avaient pour tâche de se glisser sous le char ennemi et
de le faire exploser. Le système ne fonctionna pas très bien car les chiens
avaient tendance à revenir trop tôt auprès de leurs maîtres.

En 1943, le docteur
Louis Feiser imagina de lancer à l’assaut des navires japonais des chauves-souris
équipées de bombes incendiaires miniaturisées. Elles auraient été la réponse
des Alliés aux kamikazes nippons. Mais, après Hiroshima, ces armes devinrent
obsolètes.

En 1944, les
Britanniques conçurent, de même, le projet de se servir de chats pour piloter
de petits avions bourrés d’explosifs. Ils pensaient que les félins, craignant
l’eau, feraient tout pour orienter leur engin vers un porte-avions. Il n’en fut
rien.

Pendant la guerre du Viêt-nam,
les Américains essayèrent de se servir de pigeons et de vautours pour expédier
des bombes sur le Viêt-cong. Échec encore.

Lorsque les hommes ne
cherchent pas à utiliser les animaux comme soldats, ils tentent de s’en servir
comme espions. Ainsi, durant la guerre froide, la C.I.A. se livra à des
expériences destinées à marquer les suspects en filature avec l’hormone de
cafard femelle, le péripalone B. Cette substance est si excitante pour un
cafard mâle qu’il arrive à la détecter et la rejoindre sur des distances de
plusieurs kilomètres.

 

Edmond Wells,

Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu
, tome III.

 

213. MISE AU POINT

 

Nul ne sut jamais ce que se dirent ce jour-là Arthur et 103
e
.
Sans doute la fourmi lui expliqua-t-elle pourquoi elle avait fui son
laboratoire. Sans doute Arthur la pria-t-il de demeurer là avec ses troupes
pour protéger la pyramide de la prochaine attaque des Doigts. Sans doute 103
e
lui demanda-t-elle où en était le projet de coopération entre les deux mondes.

 

214. COMMUNICATION DES APÔTRES

 

Dehors, les douze jeunes exploratrices établissent douze
bivouacs au sommet de la colline avec chacun une braise en son centre.

Dans chaque campement, une des douze raconte durant toute la
nuit ce qu’elle croit qui se passe à l’intérieur du nid humain. Toutes pensent
que la princesse a rejoint les dieux qui savent parler, pas comme ces trois tas
de viande incapables de dialoguer et qui se sont effondrés dès qu’on les a
abordés.

Princesse 103
e
est en train de demander que se
noue un pacte irrévocable entre les Doigts et les fourmis
, annonce
d’ailleurs Prince 24
e
pour rassurer tout le monde.

À l’heure qu’il est, ce doit être déjà chose faite
.

Au matin, c’est 5
e
qui, dressée sur ses
béquilles, perçoit le premier bruit. Des pales brassent l’air au-dessus des
campements. Elle comprend tout de suite que ces gros frelons lointains
constituent une menace mais ils volent trop haut pour être à portée de jets
d’acide. Les tirs des artilleuses fourmis ne vont pas au-delà de vingt
centimètres et ces frelons sont à bien plus de vingt centimètres des antennes
myrmécéennes.

 

 

Sur les écrans vidéo de la pyramide, la menace était encore
plus spectaculaire. Aux minuscules fourmis volantes robots, les forces de
l’ordre répondaient avec d’énormes hélicoptères.

C’était le type d’hélicoptères généralement utilisés pour
l’épandage agricole. Il était trop tard pour envoyer 103
e
donner
l’alerte à ses troupes. Une pluie jaunâtre de cristaux d’acide s’abattait déjà
sur ses compagnes.

Au contact des cristaux de poison, la douleur est
effroyable. Les carapaces fondent, les herbes fondent, les arbres fondent.

Les hélicoptères déversaient un mélange d’exfoliant et de
pesticide extrêmement concentré.

Les gens du nid enrageaient. Des millions de fourmis étaient
venues pour pactiser avec les hommes et étaient en train de mourir sans aucun
moyen de se défendre.

— On ne peut pas laisser faire ça ! enragea
Arthur.

Tous leurs efforts n’auraient donc abouti qu’à ce massacre.

Princesse 103
e
suivait l’événement sur un petit
écran de contrôle et ne comprenait pas.

— Ils sont devenus fous, murmura Julie.

— Non, ils ont peur, c’est tout, répondit Léopold.

Jonathan Wells serra les poings.

— Pourquoi faut-il toujours que des forces
insurmontables se dressent pour empêcher les hommes de connaître ce qui est
nouveau, ce qui est différent ! Pourquoi faut-il absolument que les hommes
ne consentent à étudier les créatures qui les environnent que découpées en
tranches et collées à une lamelle de microscope !

En cet instant, observant le liquide jaunâtre qui partout
détruisait la vie, Arthur eut honte d’être humain. Avec détermination, il dit
d’une voix qui se voulait ferme :

— Cela suffit comme ça. Assez joué. Rendons-nous et
arrêtons ce carnage.

Ensemble, ils s’avancèrent dans le tunnel, sortirent de la
pyramide et se livrèrent aux forces de l’ordre. Nul n’hésita. Il n’y avait pas
d’autre choix. Ils n’entretenaient plus qu’un seul espoir : en capitulant,
ils arrêteraient peut-être le ballet des hélicoptères semeurs de poison.

 

215. PHÉROMONE ZOOLOGIQUE : CORRIDA

 

Saliveuse : 10
e
.

CORRIDA :

Les Doigts sont les plus puissants prédateurs.

Pourtant, il semble que, par moments, pris de doute, ils
ressentent l’envie de se le confirmer.

Alors, ils organisent des « corridas ».

Il s’agit d’un rituel étrange au cours duquel un homme
affronte l’animal qui lui paraît le plus puissant : le taureau.

Pendant plusieurs heures, ils se combattent, le taureau
armé de ses cornes pointues, le Doigt d’une fine pique de métal.

Le Doigt l’emporte toujours et il n’est pas prévu de
libérer le taureau, fût-il vainqueur.

Le rituel de la corrida donne aux Doigts l’occasion de se
rappeler à eux-mêmes qu’ils sont les vainqueurs de la nature.

En mettant à mort un lourd taureau furieux, ils se
redonnent le titre de maîtres de tous les animaux.

 

216. LE PROCÈS

 

Trois mois plus tard, c’était le procès.

Dans la salle d’audience de la cour d’assises du palais de
justice de Fontainebleau, il y avait foule. Tous ceux qui n’avaient pas été
présents lors des heures de gloire des accusés étaient venus assister à leur
mise à mort. Pour une fois, la télévision nationale s’était déplacée. Les six
chaînes principales étaient là. Elles n’avaient pas assisté à la réussite de la
révolution, elles assisteraient à son exécution. Pour les spectateurs, la
défaite est toujours plus intéressante et télégénique que la victoire.

Enfin, on tenait les meneurs de la Révolution des fourmis et
les savants fous de la pyramide de la forêt. Le fait qu’il y ait parmi eux un
ex-ministre de la Recherche, une belle Eurasienne, un vieux bonhomme malade
ajoutait un côté folklorique au procès.

Journalistes, cameramen et photographes se bousculèrent. Les
bancs réservés aux spectateurs étaient pleins à craquer et on se pressait
encore devant les portes du palais de justice.

— Mesdames et messieurs, la cour, annonça l’huissier.

Le président entra, flanqué de ses deux assesseurs, suivi
par l’avocat général. Le greffier était déjà à sa place ainsi que les neuf
jurés.

Il y avait là un épicier, un agent des postes à la retraite,
une toiletteuse de chiens, un chirurgien sans clientèle, une contrôleuse du
métro, un distributeur de prospectus, une institutrice en congé maladie, un
comptable et un cardeur de matelas. Leurs odeurs étaient diverses.

L’huissier ânonna :

— Ministère public contre le groupuscule dit
« Révolution des fourmis » associé aux conjurés dits « gens de
la pyramide forestière ».

Le juge se cala confortablement dans son trône, conscient
que le procès allait probablement durer. Il avait les cheveux blancs, une barbe
poivre et sel bien taillée, le nez chaussé de lunettes en demi-lunes et tout en
lui respirait la majesté de la justice, volant très loin au-dessus des intérêts
particuliers.

Les deux assesseurs étaient d’âge vénérable et semblaient
être venus se distraire entre deux parties de belote. Tous trois prirent place
à une longue table en orme surmontée d’une statue allégorique représentant
précisément « La Justice en marche », sous la forme d’une jeune femme
drapée d’une toge très décolletée, bandeau sur les yeux et brandissant une
balance.

Le greffier se dressa et fit l’appel des accusés, encadrés
de quatre policiers. En tout, ils étaient vingt-huit. Il y avait là les sept
instigateurs de la Révolution des fourmis, ainsi que les dix-sept personnes du
premier volume de l’Encyclopédie, les quatre du second.

Le président de la cour demanda où se trouvait l’avocat des
prévenus. Le greffier répondit que l’une des accusées, Julie Pinson, avait
l’intention de servir d’avocat et que tous les autres accusés étaient d’accord.

— Qui est Julie Pinson ?

Une jeune fille aux yeux gris clair leva la main.

Le président l’invita à prendre place au pupitre réservé à
la défense. Deux policiers l’encadrèrent immédiatement pour prévenir toute
velléité d’évasion.

Les policiers étaient souriants et sympathiques. « En
fait, se dit Julie, les policiers sont des gens féroces lorsqu’ils sont en
chasse, parce qu’ils ont peur d’échouer dans leur mission, mais une fois leur
proie capturée, ce sont des gens plutôt aimables. »

Julie chercha sa mère dans le public, la découvrit au
troisième rang et lui adressa un petit signe de la tête. Depuis le temps que sa
mère réclamait qu’elle fasse des études de droit pour devenir avocate, Julie
était assez contente d’être parvenue sur le banc de la défense sans le moindre
diplôme.

Le maillet d’ivoire du président frappa la table de bois.

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