Les Assassins (7 page)

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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

BOOK: Les Assassins
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FG
 : Et comment t’es-tu senti après ? Je veux dire, quand tu es rentré chez toi. Comment te sentais-tu après ce premier meurtre ?

[L’individu se tait pendant quarante-neuf secondes.]

FG
 : Robert ?

RMC
 : Comment je me sentais ? Mais comment quiconque pourrait se sentir après une telle chose ? Je me sentais comme le Marteau de Dieu.

 

 

SECTION 5 (PAGES 96-97)

FG
 : Et le deuxième ?

RMC
 : Le deuxième ?

FG
 : Après Dominic Vallelly et Janine Luckman. Tu te souviens d’eux, Robert ? Le 4 octobre. Gerry Wheland et Samantha Merrett.

RMC
 : Je me souviens d’eux, oui.

WH
 : Raconte-nous ce qui s’est passé entre la première agression et la deuxième.

RMC
 : Ce qui s’est passé ? Il ne s’est rien passé.

FG
 : Tu as attendu presque deux mois avant de passer de nouveau à l’action. Pourquoi attendre si longtemps ?

RMC
 : Tout était hors de mon contrôle, Frank. À ce moment-là, tout était vraiment hors de mon contrôle.

FG
 : Comment ça, hors de ton contrôle ?

RMC
 : Tout a commencé à m’échapper. C’était comme si quelque chose prenait possession de moi… entrait en moi sans que je puisse rien y faire. Ils étaient là, devant moi, et je ne pouvais rien faire pour empêcher quoi que ce soit. Si je ne l’avais pas fait, tout aurait été mille fois pire. Et ce n’est pas vous qui pouvez comprendre de quoi il s’agissait… Vous n’avez jamais rien vu qui s’approche des choses que j’ai vues…

WH
 : Qu’est-ce que tu as vu ? Où ça ?

RMC
 : Le soir où je suis ressorti. Le deuxième soir. En octobre.
Je pensais que ça ne se reproduirait plus, que deux fois était peut-être suffisant. Mais ce soir-là, j’ai encore reçu le message… le message qui me disait de sortir pour accomplir ma tâche…

WH
 : D’où venait ce message, Robert ?

RMC
 : Je ne sais pas. Est-ce que je ne vous ai pas déjà expliqué que je ne savais pas ? Je ne sais pas d’où venait le message… Il fait tout noir à l’intérieur, il fait noir tout le temps, comme s’il n’y avait pas de fenêtres. Je vais là-bas et je les vois, je les entends pleurer et crier comme si c’était leurs âmes qui criaient, qui pleuraient… Comme s’ils savaient qu’ils faisaient quelque chose de mal et qu’ils avaient besoin d’être purifiés, mais qu’ils avaient trop peur de le faire eux-mêmes. Alors ils ont besoin que je les aide… Et moi, je sentais bien qu’ils avaient peur et je savais que la seule chose qui les empêcherait d’avoir aussi peur, c’était de recevoir l’ordre de monter jusqu’au paradis. L’ordre arrive, et vous l’écoutez, pas vrai ? C’était comme une lumière qui les éclairait d’en haut, et j’ai su que c’était eux… Ça prouve de manière irréfutable la compassion de Dieu, le fait qu’Il aime tous les hommes, quoi qu’ils fassent.

FG
 : Comment ça, Robert ?

RMC
 : Parce que même les méchants… Même les méchants se voient accorder une chance. On leur donne une chance, ils la saisissent, et moi, tout ce que j’avais à faire, c’était d’y aller et
de faire en sorte qu’ils aient leur chance au bon moment.

FG
 : Donc que s’est-il passé après la deuxième agression ? Qu’est-ce que tu as fait ?

RMC
 : Je suis rentré chez moi et j’ai pris une douche.

FG
 : Tu as pris une douche ?

RMC
 : C’est ça.

FG
 : Pour nettoyer le sang ?

RMC
 : Non, parce que je prends toujours une douche. Chaque soir avant de me coucher, je prends une douche, je bois un verre de lait et je vais au lit. Je ne peux pas dormir si je me sens sale.

WH
 : Donc tu es rentré chez toi, tu as pris une douche et tu es allé te coucher ?

RMC
 : Exact. Ah non, attendez… Non, j’ai pris une douche, j’ai bu un peu de lait et j’ai regardé la télé pendant quelque temps.

FG
 : Qu’est-ce que tu as regardé, Robert ?

RMC
 : J’ai regardé 200 dollars plus les frais.

FG
 : Et ça s’est passé de la même façon avec le couple suivant ?

RMC
 : Quoi donc ?

FG
 : L’enchaînement des événements… Tu es sorti, tu les as agressés et ensuite tu es rentré chez toi pour prendre une douche et regarder la télé ?

RMC
 : La troisième fois je n’ai pas regardé la télé. Je me suis couché de bonne heure et j’ai lu.

FG
 : Qu’est-ce que tu as lu ?

RMC
 : Raymond Chandler. J’aime bien Raymond Chandler. Vous aimez Raymond Chandler, Frank ?

FG
 : Jamais lu, Robert.

RMC
 : Vous devriez, Frank, vraiment… Vu que vous êtes inspecteur et tout ça, vous devriez lire Raymond Chandler.

 

 

JERSEY CITY TRIBUNE
Jeudi 27 décembre 1984
Le « Marteau de Dieu » s’est suicidé
à l’hôpital d’Elizabeth

 

Robert Melvin Clare, 32 ans, arrêté et inculpé pour cinq assassinats et une tentative d’assassinat, a été retrouvé mort, ce matin, dans sa chambre à l’hôpital psychiatrique d’Elizabeth. Les premiers éléments indiquent que Clare s’est pendu avec une corde fabriquée à partir de morceaux de draps déchirés. Le directeur de l’établissement, le Dr Mitchell Lansden, n’a pas souhaité faire de commentaire, mais un porte-parole a déclaré qu’une enquête approfondie serait immédiatement diligentée afin de comprendre comment un tel incident a pu se produire. Clare avait déjà été interrogé par l’inspecteur Frank Gorman, chef de la brigade criminelle de Jersey City, au sujet des récents meurtres commis par le « Marteau de Dieu ». Il avait été ensuite confié à l’hôpital psychiatrique d’Elizabeth pour y subir un examen concernant son aptitude à être jugé. Contacté, l’inspecteur Gorman a dit sa déception de savoir que Clare ne serait pas jugé pour ces crimes. Il a également reconnu être convaincu de la culpabilité de Clare et affirmé que, avec son suicide, l’État n’aurait ainsi pas à supporter le coût d’un procès et que les familles des victimes se verraient également épargner la douleur de voir les noms et les images de leurs enfants dans le journal. Aucune déclaration officielle n’a été faite par le bureau du procureur.

 

« Vous avez entendu la nouvelle ? demanda Gorman.

— J’ai appris qu’il s’était suicidé.

— Il s’est pendu… Il a déchiré un drap en plusieurs morceaux et les a ensuite noués entre eux pour en faire une corde.

— À quoi est-ce qu’il s’est pendu ?

— Il a soulevé son lit et l’a calé contre le mur, à la verticale. Pour être tout à fait précis, il est davantage mort étouffé que pendu. Il a été obligé de garder ses pieds au-dessus du sol. »

John Costello resta un moment silencieux.
Avec difficulté, il tourna la tête et regarda par la fenêtre. « Vous pensez que c’était lui ?

— Aucun doute là-dessus.

— Il a avoué ? »

Gorman mit du temps à répondre. « Je suis censé ne rien révéler de son interrogatoire, mais oui, il a avoué.

— Est-ce qu’il a expliqué pourquoi il a fait ça ?

— Oui. »

John sourit faiblement et regarda de nouveau Gorman.

« C’était de la folie pure, John. Il n’y avait pas de raison. Évidemment, il n’y avait aucune raison rationnelle. On ne peut pas rationaliser un comportement irrationnel.

— Mais il avait une raison valable à ses yeux, non ?

— Oui.

— Vous voulez me dire laquelle ?

— Non, bien sûr que je ne veux pas.

— Mais vous allez me la dire, pas vrai ?

— Vous croyez que ça vous soulagera ?

— Moi ? fit John. Non, je ne crois pas. Vous l’avez dit : c’est de la folie pure. Il faut vraiment être fou, non ? Les gens qui sont sains d’esprit ne sortent pas dans la rue pour aller éclater des crânes avec un marteau.

— Il croyait faire le bien, expliqua Gorman. Il croyait aider les gens qu’il tuait à monter au paradis. »

John esquissa un sourire narquois. « C’est de la folie.

— Pour sûr. »

Gorman s’interrompit une seconde, puis ajouta : « De toute façon, on en reparlera un peu plus tard. Reposez-vous. Vous avez l’air d’aller mieux.

— Et vous, vous avez l’air de quelqu’un qui ne dort jamais.

— C’est le cas.

— Vous pouvez peut-être dormir un peu, non ? Maintenant que c’est terminé.

— Bien sûr, mon vieux. Peut-être, maintenant. »

 

 

JERSEY CITY TRIBUNE
Vendredi 4 janvier 1985
Le policier qui avait arrêté le « Marteau de Dieu »
est mort

 

L’inspecteur Frank Gorman, chef de la brigade criminelle de Jersey City, tout récemment chargé de l’enquête sur les assassinats du « Marteau de Dieu », est mort hier soir dans les toilettes d’un restaurant, semble-t-il d’une crise cardiaque. Gorman (51 ans), dans la police depuis vingt-huit ans, célibataire et sans enfants, dînait vraisemblablement seul. Marcus Garrick, le directeur de la police, a déclaré ce matin que la mort de ce policier dévoué et efficace laisserait un immense vide. Ses obsèques auront lieu le mercredi 9 janvier en l’église de la Première Communion. À la place des fleurs, le directeur Garrick a demandé que des dons soient versés au fonds d’entraide pour les veuves et orphelins de la police de Jersey City, par l’intermédiaire de la municipalité.

 

John Costello devint le genre de personnes qui se rassurent par des petits rituels : il compte, il fait des listes.

Il n’a pas peur de la nuit, car il porte en lui toute la nuit dont il a besoin.

Dans la rue, il ressemble à des millions d’autres gens.

Vous lui parlez, il semble exactement comme vous.

Mais il n’est pas comme vous.

Et ne le sera jamais.

1

Juin 2006

  A
vec son enseigne jaune délavée, son auvent en demi-cercle rouge, et le fait qu’on y avait toujours salé, fumé et saumuré maison, le Carnegie Deli & Restaurant, situé au n
o
 854 de la 7
e
 Avenue, était un petit bout de paradis. À l’intérieur, les odeurs du bœuf salé, du hareng saur et des
kneidles
au bouillon de poulet, les images aux murs et les vieux serveurs dont l’impolitesse légendaire n’était compensée que par le sourire des serveuses ; tout cela donnait le sentiment d’une agréable familiarité.

Ray Irving, de la quatrième division de la brigade criminelle, n’était pas juif, mais il estimait que son estomac représentait un candidat sérieux.

Il concoctait son petit déjeuner à partir de l’interminable carte casher – une omelette à la mortadelle, façon pancake, peut-être du jambon de Virginie en tranches épaisses, et des œufs. D’autres fois, il préférait du saumon fumé cuit avec de la crème de fromage, de la laitue, de l’oignon doux, un bagel, des pêches, du chocolat, un baba aux fruits et aux noix, du
pumpernickel
grillé et un jus de canneberge.

Pour le déjeuner, il y avait les sandwichs, mais il ne s’agissait pas de sandwichs comme les autres ; c’était les fameux sandwichs au bœuf salé, assez gros pour nourrir une petite famille, des combinaisons gargantuesques baptisées Crise de Foi, Bœuf en Folie, Jambon Quand Tu Nous Tiens ou encore le Fameux de Chez Reuben. Enfin, pour le dîner, on pouvait commander le pain de viande, les côtes d’agneau grillées, l’assiette de dinde du Vermont, le poulet au paprika à la roumaine, du pastrami servi sur des
knishes
aux pommes de terre maison, accompagné d’emmental fondu. Si vous demandiez une salade, on vous en préparait une : la Central Park, la Julienne Child, la George Shrimpton, la Zorba le Grec, la Spéciale au Thon, la Deux Fois du Foie, et la préférée d’Irving entre toutes, la Saumon Beau Bateau !

Irving possédait un appartement dans un immeuble en grès brun de trois étages, au croisement de la 40

Rue et de la 10

Avenue, dans le West Side. Il n’était pas marié. Il n’avait pas d’enfants. Il ne faisait pas la cuisine. Le commissariat n
o
 4 étant situé sur la 6
e
 Avenue, à hauteur de la 57
e
 Rue, son trajet pour se rendre au travail et en revenir lui permettait de passer par le Carnegie’s : il se garait derrière l’Arlen Building, près de la station de métro de la 57
e
 Avenue, marchait un peu et le tour était joué. Les patrons de l’endroit le connaissaient de tête et de nom, mais ne le traitaient pas comme un flic – ils le traitaient comme un membre de la famille. Ils prenaient les messages quand il n’était ni chez lui ni au commissariat. Il avait son ardoise et la réglait chaque mois, sans qu’on le lui réclame, sans jamais aucun retard. Cela faisait des années que les choses fonctionnaient ainsi, et il n’y avait pas de raison que ça change. Face à l’horreur de son existence, à ce qu’il voyait quotidiennement, à la brutalité dont les humains étaient capables entre eux, il estimait que certaines choses devaient rester intactes, inchangées. Le Carnegie Deli & Restaurant en faisait partie.

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