Les Assassins (37 page)

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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

BOOK: Les Assassins
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— Je viens de le rencontrer, Karen. Je ne sais rien de lui.

— Drôle de manière de choisir un assistant, vous ne croyez pas ?

— Bien. Dites-moi ce que vous savez d’autre. »

Karen sourit. « Vous allez devoir le découvrir vous-même, Ray. Vous vous êtes mis dans cette histoire ; à vous d’en sortir tout seul.

— Allez, Karen. C’est injuste… »

Elle glissa sur le côté et récupéra sa veste. « J’y vais.

— Quoi ? »

Karen Langley leva la main pour le faire taire. « J’y vais. Je vais discuter avec Leland et avec toutes les personnes qu’il faudra mettre au courant. Je réglerai cette histoire avec John. » Elle était debout. Irving voulut se lever à son tour.

Elle sourit encore, tendit la main et la posa sur la joue d’Irving. « Ne vous levez pas. Ce n’est pas le bon moment pour ce à quoi nous pensons.

— Mais…

— Occupez-vous de ça. Une fois que vous aurez terminé, rappelez-moi. On pourra peut-être repartir sur de bonnes bases.

— Karen ! Je ne voulais pas du tout…

— Pas de problème, dit-elle à voix basse avant de se baisser et d’embrasser la joue d’Irving. Vous avez mon numéro. Quand vous n’aurez rien à me demander, appelez-moi, entendu ? »

Irving ne put que la regarder sans un mot.

« Hochez le menton, Ray. Hochez le menton pour que je sache que vous m’avez bien entendue. »

Irving hocha le menton.

Karen Langley sourit, presque comme si c’était ce qu’elle attendait, comme si elle s’y était préparée depuis longtemps et savait exactement comment agir. Là-dessus, elle fit demi-tour et marcha vers la sortie.

Ray Irving se leva soudain ; sa veste emporta l’anse de sa tasse à café, qui se renversa par terre. Tout occupé à extraire des serviettes en papier du distributeur en chrome posé sur la table, il ne la vit pas partir. Lorsqu’il leva enfin les yeux, elle n’était plus là.

Peut-être s’était-elle retournée pour lui adresser un dernier regard, un petit sourire, histoire de bien réaffirmer sa position. Il ne le savait pas et ne le saurait jamais.

Il se rassit. La serveuse arriva et lui demanda s’il voulait encore du café. Il refusa, puis changea d’avis.

Il resta encore un petit moment – vingt minutes, une demi-heure peut-être. Il observa le monde par la fenêtre – la 7
e
 Avenue un dimanche après-midi – et se fit la réflexion que ça avait été, sans aucun doute possible, le deuxième pire rendez-vous de sa vie.

38

  I
l était presque 15 heures. Rentrer chez soi n’avait pas grand sens. Irving se rendit donc à son bureau, passa quelques coups de fil, essaya de voir ce qu’il pouvait apprendre de plus sur John Costello. Ce dernier ne possédait aucun casier judiciaire, n’avait jamais été arrêté, encore moins inculpé, et ses empreintes digitales ne figuraient pas dans le fichier de la police. Irving réussit tout de même à trouver son numéro de Sécurité sociale, qui lui donna une adresse, un immeuble au croisement de la 39
e
 Rue Ouest et de la 9
e
 Avenue dans lequel Costello avait emménagé en janvier 1989. Si l’adresse était toujours la bonne – ce dont il n’avait aucune raison de douter –, Costello vivait donc au même endroit depuis près de dix-huit ans. Irving pouvait y aller à pied tout de suite. D’ici un quart d’heure ou vingt minutes, il serait devant la porte de l’appartement de John Costello, pourrait entrer chez lui et observer de près le monde qu’il s’était créé. La manière dont ces gens-là vivaient était toujours le meilleur reflet de leur mentalité.

Irving s’arrêta net.
Ces gens-là ?
Comment ça ? Qu’entendait-il par là ? Classait-il Costello dans la même catégorie, peu ou prou, que l’homme qu’il cherchait ?

Il préféra abandonner ce terrain glissant et se concentrer sur son ordinateur.

Les dossiers sur les meurtres du Marteau de Dieu lui avaient été scannés et envoyés par la police de Jersey City. Ils avaient été archivés à la fin de 2002. Irving avait eu vent du projet, une vaste entreprise censée redonner un peu d’ordre et de cohérence à l’énorme masse de dossiers qui croupissaient dans les archives des comtés, une tentative pour réduire l’espace de stockage, protéger les documents et rendre obsolète la bonne vieille méthode des références croisées à la main. Naturellement, comme pour tous les projets de cette ampleur, soit les financements avaient été épuisés ou suspendus, soit quelqu’un en avait profité pour faire cracher le contribuable en engageant des consultants et des petites mains à prix d’or. Quelqu’un finirait donc par exhumer le projet, le reprendre là où il avait été abandonné, et une deuxième, voire une troisième et une quatrième tentative seraient démarrées pour en venir enfin à bout. Irving avait de la chance : les dossiers du New Jersey remontaient au début de l’année 1986. Or la dernière des agressions du Marteau de Dieu – celle contre John Costello et Nadia McGowan – avait eu lieu en novembre 1984. Irving copia l’ensemble des dossiers sur son disque dur.
Treeware
, se dit-il avec un sourire, repensant au terme que les geeks employaient pour désigner les documents en papier. Au sous-sol du commissariat n
o
 4, il consulta la base de données des journaux en microfilms et sortit les articles du
Jersey City Tribune
parus en décembre 1984 : mercredi 5 (« Arrestation dans l’affaire des assassinats au marteau ») ; vendredi 7 (« Inculpation de l’homme suspecté dans les assassinats au marteau ») ; mercredi 12 (« Le Marteau de Dieu sous les verrous ») ; un article daté du jeudi 20 expliquant que l’employeur de Robert Clare voulait traduire en justice les fanatiques de meurtres en série qui venaient dans son garage pour y glaner des objets-souvenirs. Enfin, le 27 décembre, un papier factuel sur le suicide de Robert Clare. Poursuivant ses recherches, Irving trouva un article saisissant, peut-être le plus triste de tous. Il était daté du 4 janvier 1985 et avait pour titre : « Le policier qui avait arrêté le “Marteau de Dieu” est mort ».

On y apprenait que l’inspecteur Frank Gorman, chef de la brigade criminelle de Jersey City, était mort d’une crise cardiaque dans les toilettes d’un restaurant. Pour couronner le tout, Gorman, âgé de 51 ans, célibataire, mangeait seul ce jour-là. Dans la police depuis vingt-huit ans, il n’avait eu droit qu’à un entrefilet dans le
Tribune
.

Irving s’enfonça dans son fauteuil, perdu dans ses réflexions. Il se demanda combien de personnes avaient assisté à l’enterrement de Gorman le mercredi 9 janvier 1985, en l’église de la Première Communion… Combien de personnes hormis ses collègues.

Ces quelques paragraphes résumaient tout. L’histoire se répétait. Gorman et lui, c’était la même chose. Pas de famille, pas d’enfants, pas d’héritiers. Ni fleurs ni couronnes. Ils disparaîtraient dans leur coin et seraient balayés.

Il referma le dossier des microfilms et remonta dans la salle des opérations. Il étudia les interrogatoires qu’avaient menés Gorman et Hennessy et retrouva une note griffonnée dans un coin du tout premier rapport McGowan/Costello. L’écriture était celle d’Hennessy. La note disait simplement : « Imitateur ?? »

De toute évidence, Frank Gorman et Warren Hennessy s’étaient posé les mêmes questions que lui. Costello avait été le seul à survivre. S’était-il lui-même infligé ses blessures ? Avait-il assassiné les couples précédents puis, pour détourner l’attention, tué sa petite amie avant de se blesser lui-même ? Si oui, qui était donc ce Robert Melvin Clare ? Et pourquoi aurait-il avoué ? Comparées aux analyses de scènes de crime actuelles et à la médecine légale moderne, la plupart des techniques, en 1984, n’en étaient qu’à leurs balbutiements. Peut-être y avait-il une explication plus simple – peut-être y avait-il deux tueurs similaires. Se pouvait-il que Costello, qui n’avait alors que 16 ans, eût déjà réédité un meurtre du Marteau de Dieu à l’époque ?

L’idée lui fit froid dans le dos. Il allait très loin dans les conjectures. Il avait rencontré plusieurs fois Costello. Pouvait-il vraiment être le Commémorateur ? John Wayne Gacy, Kenneth McDuff, Arthur Shawcross ou Harvey Carignan étaient-ils vraiment ce qu’on pensait ? Ou est-ce que la plus grosse supercherie était, dans ce genre de cas, ce qui importait le plus ?
Je ne suis pas celui que vous croyez. Je ne suis même pas celui que je crois être.

Irving chercha la trace de Warren Hennessy, le collègue de l’inspecteur Gorman, dans la base de données interne. Il put la suivre jusqu’au mois de juillet 1994. Douze ans s’étaient écoulés depuis. Hennessy était-il toujours en vie ? Où diable pouvait-il être ? Fallait-il vraiment consacrer du temps et de l’énergie à mettre la main sur lui ? Au mieux, que pourrait-lui lui dire au sujet de John Costello ? Que lui aussi avait envisagé la possibilité que Costello ait imité la signature criminelle du Marteau de Dieu ? Qu’il avait un temps soupçonné Costello d’être le pire de tous les menteurs ?

Irving abandonna. Il n’y croyait pas. Il remplissait les vides avec tout ce qu’il pouvait trouver, mais ça ne collait pas.

John Costello était une victime qui avait survécu. Point final. Il avait un don fabuleux pour relier les points entre eux, et ce don pouvait s’avérer utile si on voulait comprendre un peu mieux ce qui s’était passé. Rien de plus. Cet homme était une énigme, certes, mais Irving voulait croire à tout prix qu’il n’était pas un tueur en série.

Sur le coup de 17 heures, épuisé à force de lire des pages et des pages de documentation détaillée, il passa une heure à classer des dossiers et des photos, à remettre les choses dans l’ordre chronologique. Il souligna plusieurs points sur quelques feuilles tirées des premiers rapports d’enquête. Il nota certaines choses qu’il souhaitait garder à l’esprit lors de la prochaine visite de Costello.

Avant de partir, il téléphona au bureau du coroner et demanda le rapport d’autopsie de Laura Cassidy. Hal Gerrard était absent, mais un de ses assistants invita Irving à passer prendre le rapport sur place.

Irving s’exécuta et rentra chez lui. Un peu après 19 heures, assis dans sa cuisine, il parcourut les quelques notes concernant la mort d’une jeune disquaire de 24 ans que New York avait déjà oubliée. Laura Margaret Cassidy, assassinée selon le même mode opératoire qu’Alexandra Clery, victime non confirmée du Zodiaque.

Encore une fois, ce n’était qu’une hypothèse. Le lien était, au mieux, ténu. Qu’est-ce qui prouvait que tous ces meurtres avaient été commis par le même homme ? Hormis les dates, rien. Hormis le fait que ces gens avaient été assassinés d’une certaine manière à une certaine date, rien.

Était-ce suffisant ?

Il mit de côté le rapport d’autopsie. Il ferma les yeux et sentit un mal de crâne se former quelque part derrière son front.

En vérité, il
fallait
que ce soit suffisant. Parce qu’ils n’avaient rien d’autre.

39

  « E
st-ce que j’ai droit à un insigne ? demanda Costello, l’air très sérieux, sans aucune ironie.

— Un quoi ?

— Un insigne. Comme si j’assurais l’intérim ou quelque chose comme ça. »

Irving fronça les sourcils. « C’est une blague ? »

Costello répondit par un haussement d’épaules. Il se leva du bureau de la salle des opérations et avança jusqu’à la fenêtre, où il resta un moment à compter les voitures – les voitures blanches. Il était 10 h 20, le lundi 18 septembre. Karen Langley s’était entretenue avec Leland Winter, et ce dernier avec Bryan Benedict. Benedict et le capitaine Farraday avaient passé un petit quart d’heure au téléphone, et Costello avait été transféré du siège du
New York City Herald
, au croisement de la 31
e
 Rue Ouest et de la 9
e
 Avenue, au commissariat n
o
 4, à l’angle de la 57
e
 Rue et de la 6
e
 Avenue. Sans conditions. Aucun privilège d’exclusivité accordé au cas où l’affaire éclaterait au grand jour. Aucune faveur spéciale. Le
City Herald
prêtait un spécialiste du crime à la police, un homme fort d’une expérience de vingt ans en la matière, un homme capable de penser au-delà du cadre étroit qui entourait généralement ces questions-là. De l’avis général, John Costello ne réfléchirait pas comme un inspecteur de la Criminelle. Il aborderait les choses sous un autre angle, et ce changement de perspective, ce glissement intellectuel, était précisément ce dont Irving avait besoin.

Costello se retourna, mains dans les poches. « En clair, dit-il, on a neuf victimes d’assassinat. La première a été tuée le 1
er
 juin, et la dernière, Laura Cassidy, sans doute le 4 septembre, même si elle n’a été retrouvée que le samedi 11. » Il sourit. « Je me demande ce qu’il a bien pu ressentir pendant tout le temps où elle est restée morte dans son coin.

— Je me suis dit la même chose. Pourquoi nous envoyer la lettre de Shawcross, histoire d’être sûr qu’on puisse faire le lien avec Anne-Marie Steffen, pourquoi maquiller le petit Wolfe, et ensuite laisser la fille dite du Zodiaque comme ça ?

— Il a dû en crever de frustration.

— Ou alors il a simplement voulu limiter le nombre d’indices. Il veut nous en montrer juste assez, mais pas trop non plus.

— Le mystère, dit Costello.

— Le mystère ?

— Dans le fond, il s’agit bien de ça, non ? Un profileur du FBI, un certain John Douglas, expliquait un jour que tous ces gens-là sont mus par une volonté de définir et de perpétuer leur propre mythologie. Ils veulent tous être quelqu’un mais ne le sont pas. Alors ils sont obligés de se faire passer pour quelqu’un afin d’être entendus.

— Le cliché du gamin maltraité et abandonné…

— Les clichés ne sont des clichés que parce qu’ils expriment assez de vérité pour être répétés. »

Irving s’approcha des tableaux blancs installés au fond de la pièce. En un clin d’œil, Costello se retrouva à côté de lui. Les deux hommes étudièrent les visages des victimes, leurs noms, la date et l’heure de leur mort, les épingles et les petits drapeaux qui indiquaient les lieux du crime sur le plan de la ville.

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