The Setting Lake Sun (14 page)

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Authors: J. R. Leveillé

BOOK: The Setting Lake Sun
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— Ils n'étaient donc pas si voyous.

— Très juste. Inspiration et expiration : un seul et même mouvement. Qui y participe n'aspire à rien d'autre.

Il m'a souhaité bonne nuit après s'être assuré que j'avais toutes les couvertures nécessaires.

Je me suis endormie avec la flûte entre les bras.

*

“He had left his sword and his robe quite a distance away on the riverbank. The only thing he could reach was his
shakuhachi
. But instead of doing what the bandits expected and attacking them, the redoubtable warrior sat down on the shore, naked, in the lotus pose, and started to play the flute. It's said that the sound he brought forth so charmed and astonished the little band of thieves that they held a celebration for him right there on the spot. They shared their supply of food with him and let him go on his way.”

“Then they weren't so tough.”

“You're right. Inspiration and expiration: it's one and the same movement. Whoever takes part never aspires to anything else.”

After having made sure that I had all the blankets I needed, he wished me a good night.

I fell asleep with my arms wrapped around the flute.

121

Pendant la nuit, j'ai fait ce rêve.

Je ne peux pas dire que je fuyais, mais je laissais quelque chose derrière. Je ne sais quoi au juste. J'avançais dans une petite nappe d'eau. Il y avait derrière et autour de moi des odeurs de marais, des odeurs d'été ; elles n'étaient pas nauséabondes ni même désagréables. Au contraire, à mesure que j'avançais dans l'étang, l'air se faisait de plus en plus parfumé. Enfin j'ai senti que j'étais étendue parmi les joncs et les roseaux, alourdie par ce baume, mais sans pesanteur si je puis dire. Les roseaux semblaient pousser de mon corps ; je voyais la clarté du jour à travers leurs tiges. Puis un vent un peu blanchâtre, transparent, s'est levé et a passé sur moi. Quoique immobile, je me sentais alors légère. Je balançais d'un côté et de l'autre au gré du vent et j'ai entendu un long et immense soupir comme si la moelle de mes os se transformait.

*

During the night I had this dream.

I can't say that I was running away, but I was leaving something behind, I'm not sure exactly what. I was wading into a small body of water. Behind and around me drifted swamp smells, summer smells. They weren't sickening or even unpleasant, just the opposite—as I gradually moved further into the pond, the air became more and more fragrant. I finally felt that I was stretched out among rushes and reeds, weighed down by the scent but feeling quite weightless. The reeds seemed to be growing out of my body; I could see the daylight between their stems. Then a whitish, transparent wind seemed to rise and sweep over me. Although I couldn't move, I felt light. I rippled one way and the other at the behest of the wind and I heard a deep, long sigh, as if the marrow of my bones were being altered.

122

En me déposant dimanche soir devant mon appartement et en me quittant, Ueno a dit :

— N'oublie pas les poèmes.

— Salut, Ueno. C'était vraiment bien.

— Oui, j'ai beaucoup apprécié ta visite. Tu m'as donné le goût de me remettre à la flûte.

Grand rire, comme un corbeau qui croasse.

— Salut, Angèle. À la prochaine.

Je suis montée. Je me suis fait une tasse de café bien chaud. J'ai allumé une bougie que j'ai placée devant le bocal du poisson rouge. Je me suis assise et j'ai écouté le disque qu'il m'avait prêté.
Mukaiji-Reibo
 :
« brume, mer, flûte ».

*

Sunday night Ueno dropped me off in front of my apartment building. As he was leaving, he said, “Don't forget about the poems.”

“See you later, Ueno. I had a great time.”

“I really enjoyed your visit, too.You've made me want to take up the flute again.” A big laugh, like the cawing of a crow. “See you later, Angèle. Till next time.”

I went up to my apartment and made myself a nice hot cup of coffee. I lit a candle, which I set before the goldfish bowl. I sat down to listen to the recording he'd lent me,
Mukaiji-Reibo
, “fog, sea, flute.”

123

Je me suis réveillée le lendemain dans mon lit, je ne me souvenais pas de m'être couchée. Je me rappelle bien cependant que j'avais tenté cette nuit-là de traduire mon premier poème de
L'Étang du soir
.

Il y avait sur le petit tapis, devant le bocal de poisson et la cire de bougie, une page pleine de ratures et d'essais à côté de l'original.

Ah ! que je trouvais belle cette page manuscrite. Je ne savais pas si j'étais parvenue à une version finale du poème, mais cette page tachée d'encre était pour moi un petit papillon noir et blanc.

*

The next morning when I awoke in my room I couldn't remember having gone to bed. But I do clearly remember making a first attempt that night to translate one of the poems from
The Night Pond
.

On the little rug before the fishbowl and the puddle of candle wax lay a piece of paper covered with scribbles and crossed-out words, with the original next to it.

I thought the handwritten page looked very beautiful. I didn't know whether I'd come up with a final version of the poem, but the ink-stained attempt looked to me like a small black-and-white butterfly.

124

Je me suis rendu compte de l'heure. J'allais être en retard pour le travail. J'ai téléphoné à Mrs. Lydia qui m'a dit : « Tu as passé une bonne fin de semaine au moins,
dear
child
.»

J'aimais cette expression britannique qu'elle ajoutait souvent à la fin de ses phrases.

*

When I finally noticed the time, I realized I was going to be late for work. I phoned Mrs. Lydia, who said, “At least you had a good weekend, my dear child.”

I liked it when she added that British expression to the end of her sentences, which she did often.

125

Avant de me rendre au travail, je n'ai pu résister à l'envie de téléphoner à ma sœur et de lui raconter mon week-end avec Ueno.

— Mon rêve ! Mon rêve ! criait-elle tout excitée.

Quelle fille remarquable. Elle semblait prendre autant de plaisir, sinon plus que moi, aux bonnes choses qui m'arrivaient. Je crois qu'elle n'avait pas un gramme de jalousie en elle.

Je revoyais son visage, plutôt rond, une pleine lune souriante basse dans le ciel.

Je crois que j'étais très dépendante d'elle, et de cet entrain qu'elle avait. Je me reconnaissais étrangement en elle, cette partie de moi apparaissait souvent comme un lointain écho qui se cherche.

J'exagère un peu. J'ai beaucoup changé depuis ; alors j'avais tendance à minimiser mes qualités, mes goûts et mes désirs, et mes réussites.

*

Late as I was, I couldn't resist the urge to phone my sister and tell her about my weekend with Ueno.

“Just like my dream!” she exclaimed, excited.

What a remarkable woman. She seemed to get as much joy from the good things that happened to me as I did, if not more. I don't think she had an ounce of jealousy in her character.

I could see her face, a smiling round face like a full moon lying low in the sky.

I believe I depended on her a lot, and on that enthusiasm of hers. I could see myself in her, although that part of me often felt like a far-off echo seeking itself.

I'm exaggerating a little. I've changed a lot since then. At that time I tended to undervalue my strong points, my tastes and desires, and my achievements.

126

J'avais remarqué que dans le petit nombre de poèmes qui composait le livre d'Ueno Takami, l'un d'eux se répétait, à une inversion près. J'y ai longtemps réfléchi et j'ai longuement lutté avec la traduction qui en apparence était pourtant facile. Comme un
koan
.

Ce n'est que bien des années plus tard – en me versant une tasse de thé – que j'ai compris que le questionnement du
koan
n'était que l'affirmation de l'aphorisme retournée.

J'en ai parlé avec Ueno assis dans le camion devant la galerie Artspace en attendant qu'Aron vienne ouvrir les portes. Son exposition était terminée et il démontait les installations.

J'avais voulu lui présenter Ueno et j'espérais qu'Ueno, qui avait manifesté de l'intérêt, puisse voir son travail. C'était la dernière occasion. Ueno revenait d'un court voyage au Japon. Nous nous étions entendus pour qu'il vienne de l'aéroport me prendre chez moi. Il avait l'intention de regagner Setting Lake le lendemain.

*

In the small collection that made up Ueno Takami's book I'd noticed one poem in particular which repeated itself in an almost perfect inversion. I thought about it a lot and spent a long time struggling with the translation, although it looked quite simple. Like a
koan
.

It was only many years later—while I was pouring myself a cup of tea—that I understood that a
koan
‘s question was simply an aphorism's assertion reversed.

I talked to Ueno about it later on. We were sitting in his truck, parked in front of Artspace, waiting for Aron to come and let us in. His show had ended and he was taking down his installations.

I'd wanted to introduce Aron to Ueno and I'd hoped that Ueno, who had expressed an interest in his work, would have the opportunity to see it. This was our last chance. Ueno was just back from a short trip to Japan. We'd arranged that he would come by my place on his way in from the airport. He wanted to return to Setting Lake the next day.

127

— Oui, a-t-il dit, j'ai fait ces deux versions, car je voulais que ce soit absolument clair. Les deux derniers vers qui sont à peu près renversés expliquent, pour ainsi dire, les deux premiers. Je vois que tu as très bien réussi à rendre cela en français. Tu es allée au cœur absolu de la chose avec un jeu de mots qui est tout à fait différent de l'original, mais qui en saisit l'esprit à la lettre, corps et âme. On dit que l'âme est partout invisible. Tu lui as fait un autre corps qu'elle a reconnu.

— Je n'arrivais pas à faire autrement.

— Tu vois, c'est tout naturel.

*

“Yes, I wrote those two versions,” he explained, “because I wanted it to be absolutely clear. The last two lines, which are almost a mirror-image, explain the first two, you might say. I can see that you did a very good job of expressing it in French. You went straight to the heart of the matter with a play of language that is totally different from the original but which captures the spirit to the letter, body and soul. They say that the soul is always invisible. You've given it another body it has accepted.”

“I couldn't have done it any other way.”

“You see, it's completely natural.”

128

Dire que j'ai eu à lutter pour traduire ses poèmes est un bien grand mot. J'ai eu au début, il est vrai, beaucoup de difficultés dues surtout au fait que je n'avais jamais rien fait de semblable et que je m'en croyais incapable. C'est devenu pour moi au cours des mois, et de toutes ces années que je les ai conservés, beaucoup plus un plaisir qu'une peine.

C'est ce que j'ai fini par reconnaître : dès le premier soir, dans les décombres de mes petites constructions échouées, j'ai pris plaisir à tenter de traduire ces poèmes et à faire sortir ce que je ne croyais pas être en moi.

*

To say that translating his poems was a battle may be putting it too strongly. It's true that when I first started I had a lot of trouble, mostly because I had never done anything like that before and I didn't believe I could. But over the months I spent working on those pieces, and over the years of keeping them and saving them, it turned into more of a pleasure than a chore.

That's because in the end I realized what was going on: from that first night among the ruins of my flawed constructions, I took pleasure in the attempt to translate those poems and draw out what I hadn't believed was in me.

129

Je ne pensais pas que c'était en moi, car malgré la sensibilité que j'avais pour les arts, je ne me croyais pas douée. J'avais ce goût pour l'architecture que je suivais peut-être aveuglément.

*

I didn't believe I had it in me because, despite my attraction to the arts, I didn't think I had any special talent. All I had was an interest in architecture and what was perhaps a blind determination.

130

Mais est-ce que j'y arriverais ?

Les poèmes, comme je l'ai dit, étaient en apparence fort simples. Je ne pouvais imaginer qu'Ueno Takami n'y cachait pas quelque signification qui m'échappait. Alors, après la « lutte » du début, je suis entrée dans une phase de grande concentration, une espèce de jeu attentif.

Car je savais que je ne pouvais pas traduire n'importe comment, bien qu'il m'ait dit un jour que je lui parlais de certaines difficultés de traduction que j'avais, d'hésitations, de craintes, d'incertitudes :

— Fais ce que tu veux. C'est ton expérience.

*

But could I do it?

As I said, the poems appeared to be very simple. I kept thinking that Ueno Takami must be concealing some deep meaning that escaped me. So following my initial battles with his words, I entered a phase of great concentration, a kind of mindful play.

I knew I couldn't do it any old way, although one day when I was explaining some of the translation problems I was running into, and how I would hesitate, grow anxious, become uncertain, Ueno told me, “Do what you want. It's your experience, no one else's.”

131

Je me suis rendu compte aussi d'un phénomène. Comme cela s'était passé le premier soir, je traduisais surtout la nuit. Dans un état de grande absorption.

Parfois je m'y mettais, je ne peux me l'expliquer, quand je rentrais fourbue. Ou quand je n'arrivais plus à dormir. Ou encore quand je m'éveillais en pleine nuit.

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