The Running Man (9 page)

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Authors: Richard Bachman

Tags: #Fiction, #Horror, #Thrillers, #General, #sf

BOOK: The Running Man
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S’ils trouvaient vraiment Molie.

Il FAUT supposer qu’ils le trouveront
.

Alors, partir d’ici. Pour aller où ?

Ben n’en avait aucune idée. Il avait passé sa vie entière à Harding, dans le Midwest. Il ne connaissait pas la côte Est. Pour lui, c’était l’inconnu.

Son esprit surexcité sombra dans une rêverie morbide. Ils avaient facilement trouvé Molie, et lui avaient arraché le nom « Springer » en cinq minutes, après lui avoir écrasé deux ongles et versé de l’essence dans le nombril, en menaçant d’y mettre le feu. Un coup de téléphone leur avait suffi pour apprendre le numéro du vol qu’il avait pris ; deux hommes élégants et anonymes, vêtus des mêmes gabardines grises, étaient arrivés à New York à 2 h 30 E.S.T. Des correspondants avaient entre-temps appris qu’il était descendu au
Brant
 : un ordinateur centralisait quotidiennement la clientèle de tous les hôtels de la métropole. Ils étaient dehors, maintenant, guettant sa sortie. L’hôtel était cerné. Les réceptionnistes et les boys avaient été remplacés par des Chasseurs. Il y en avait dans les ascenseurs et dans l’escalier de secours. Ils tournaient autour du bâtiment dans des air-cars. Ils étaient partout. Dans un moment, ils allaient enfoncer la porte, et, sous les yeux d’une caméra triomphalement brandie par des bras musclés, allaient le réduire en charpie pour la postérité.

Richards se redressa, couvert de sueur.

Fuir. Vite.

D’abord Boston ; ensuite, il aviserait.

Compte à rebours...
074

A 17 heures, il descendit à la réception. L’employé était tout souriant, sans doute parce que la fin de la journée approchait.

— Bonsoir, monsieur...

— Springer. (Ben lui rendit son sourire.) Il semble que j’aie trouvé le bon filon. Trois gros clients... Je compte donc rester deux jours de plus dans votre excellent hôtel. Si vous désirez que je règle d’avance ?

— Avec plaisir, monsieur.

Les dollars changèrent de mains. Souriant toujours, Ben regagna sa chambre. Le couloir était vide. Il accrocha la pancarte NE PAS DÉRANGER à la poignée et gagna rapidement l’escalier de secours.

La chance était avec lui. Il ne rencontra personne, et sortit par la porte pare-feu sans être observé.

Il ne pleuvait plus, mais des nuages menaçants s’accrochaient aux tours de Manhattan. Sans se donner la peine de boiter, Richards marcha rapidement jusqu’au terminus des bus électriques. Il était encore possible d’acheter un billet de Greyhound sans montrer ses papiers.

— Boston, dit-il au caissier barbu.

— Vingt-trois dollars. Prochain bus à 6 h 15.

Il paya, ce qui lui laissait un peu moins de trois mille nouveaux dollars. Une heure d’attente. La gare routière était noire de monde. Beaucoup d’engagés du corps volontaire, avec leurs bérets bleus, leurs visages juvéniles et brutaux. Il acheta un magazine perverto, s’assit sur un banc près du panneau indiquant BOSTON, et se cacha le visage derrière le périodique, tournant de temps en temps une page pour ne pas ressembler à une statue.

Lorsque le bus arriva, il referma le magazine, puis se joignit au groupe qui attendait devant les portes pneumatiques.

— Hé ! Vous, là-bas !

Il se retourna. Un garde arrivait en courant. Paralysé de terreur, il aurait été incapable de s’enfuir. Ils allaient l’abattre comme un chien dans cette gare routière crasseuse, devant ce mur couvert de graffiti obscènes, sur ce trottoir plein de chewing-gums écrasés...

— Arrêtez-le ! Arrêtez-le !

Le garde changea brusquement de direction. Ce n’était pas du tout à Richards qu’il en voulait, mais à un gosse d’aspect misérable qui courait à toutes jambes vers les escaliers, se frayant un chemin dans la foule en faisant tournoyer un sac à main qu’il tenait à bout de bras.

Le garde et sa proie disparurent, montant les escaliers quatre à quatre. Les voyageurs, qui avaient regardé la scène avec un vague intérêt, commencèrent à monter comme s’il ne s’était rien passé.

Glacé jusqu’aux os et s’efforçant de ne pas montrer qu’il tremblait, Richards s’affala sur un siège, vers le fond du bus. L’alerte avait été chaude. « Si j’avais eu un pistolet, je l’aurais descendu sur place ! »

Dans son esprit, une autre voix ajouta :
La prochaine fois, ce ne sera pas un petit pickpocket. Ça sera toi.

A Boston, il fallait trouver une arme. Absolument.

Il se souvint de Laughlin disant qu’il balancerait quelques salopards par la fenêtre avant qu’ils ne le massacrent.

Le bus monta la rampe, et commença à rouler vers le nord aux dernières lueurs du crépuscule.

Compte à rebours...
073

Le Y.M.C.A. de Boston se trouvait en haut de Huntington Avenue. Au milieu du siècle passé, c’était un des meilleurs quartiers de la ville. Un gros bloc carré, noirci par les ans. La vieille enseigne au néon continuait à clignoter nostalgiquement en direction du quartier des théâtres et du vice ; rappel d’une autre époque, et squelette d’une idée assassinée.

Lorsque Richards entra, le réceptionniste – un monsieur très digne et grisonnant ― était en train de se chamailler avec un minuscule gamin noir vêtu d’un maillot crasseux qui lui arrivait aux genoux. L’objet de la dispute était apparemment un distributeur de chewing-gums placé près de la porte.

— Mes cinq
cents
 ! hurlait le gamin. J’vous dis que la machine a gardé ma pièce, et j’ai pas eu de chouing-gomme !

— Veux-tu filer d’ici ? Et en vitesse, sinon j’appelle le détective !

— C’était ma seule pièce, pleurnicha le gamin dans une vaine tentative d’apitoyer le réceptionniste. Cette sale machine me l’a prise...

— Si tu es encore là dans une seconde, j’appelle le détective, rétorqua l’homme en portant la main à un bouton, réel ou imaginaire, situé sous son bureau.

Le gosse s’éclipsa aussitôt, non sans donner au passage un coup de pied rageur au distributeur.

Le réceptionniste le regarda s’éloigner dans la rue, puis se tourna vers Richards en souriant.

— On ne peut plus rien dire aux nègres, de nos jours. Si je dirigeais le Réseau, je les mettrais tous en cage.

— Il a vraiment perdu ses cinq
cents
 ? demanda Richards, tout en écrivant sur le registre : John Deegan, venant du Michigan.

— Si c’est le cas, il les avait volés, répondit l’employé. Mais si je lui donnais une pièce, il m’enverrait cinquante de ses petits copains qui essayeraient le même coup. Leurs parents ne s’occupent pas d’eux, que voulez-vous... Ces enfants sont livrés à eux-mêmes. Combien de temps comptez-vous rester, monsieur Deegan ?

— Je ne sais pas encore. Je suis venu pour affaires : tout dépendra du climat.

Il essaya un sourire onctueux ; lorsqu’il eut exactement la qualité requise, il l’élargit encore un peu. L’employé le reconnut aussitôt (sans doute l’avait-il déjà vu dans son propre reflet sur le comptoir en faux marbre poli par des millions de coudes) et le lui rendit.

— Ce sera quinze dollars cinquante, monsieur Deegan. (Il lui tendit une clef attachée à un rectangle de bois usé.) Chambre 512.

— Merci. Richards paya. Heureusement que Y.M.C.A. existait : c’était l’un des rares endroits où l’on ne vous demandait pas vos papiers.

Sur le chemin de l’ascenseur, il passa devant la bibliothèque de prêt chrétienne, faiblement éclairée par des globes jaunâtres pleins de chiures de mouches. Un vieil homme portant une redingote noire râpée tournait lentement les pages d’un pamphlet en s’humectant le pouce. En entendant sa respiration sifflante à travers la porte vitrée, Richards ressentit un mélange d’horreur et de pitié.

Au moment de monter dans l’ascenseur, il entendit le réceptionniste dire à voix haute, sans s’adresser à personne en particulier : « C’est une honte, un péché. Il faudrait tous les mettre en cage ! »

Compte à rebours...
072

Le couloir du cinquième étage sentait la pisse. Il était si étroit que Richards se sentit devenir claustrophobe. Le sol était couvert d’un tapis en jute usé jusqu’à la corde, qui avait peut-être été rouge autrefois. Les portes étaient peintes en gris foncé. Plusieurs portaient des marques de coups de pied ; d’autres, des traces suspectes près de la serrure, comme si on avait tenté de les forcer avec un levier. Tous les dix mètres un écriteau disait : DÉFENSE DE FUMER DANS LE COULOIR
Par ordre des Services de Lutte contre l’incendie
.

En approchant des toilettes communes situées au milieu du couloir, l’odeur d’urine devint presque suffocante. Pour Richards, c’était l’odeur même du désespoir. Derrière les portes fermées, on entendait les occupants des chambres bouger comme des animaux en cage ― des animaux trop affreux, trop effrayants pour les montrer au grand jour. Quelqu’un psalmodiait d’une voix d’ivrogne un texte qui semblait être le
Je Vous Salue Marie
. Ailleurs, c’étaient d’inquiétants bruits de succion. D’une autre porte, venait un air de country-western (
I ain’t got a buck for the phone / and I’m so alone...
). Un grincement solitaire de sommier. Des pleurs. Des rires. Le bruit d’une dispute, pleine d’hystérie rentrée. Derrière d’autres portes, c’était le silence. Un homme à la poitrine creuse croisa Richards, une savonnette et une serviette à la main il portait un pantalon de pyjama retenu par une ficelle, et des chaussons en papier.

Richards ouvrit la porte de sa chambre et entra. Il y avait un gros verrou ; il le poussa. Un lit, avec des draps presque blancs et une couverture des surplus de l’armée. Un bureau en bois plaqué, dont un tiroir manquait. Au mur, un chromo représentant Jésus. A l’angle de deux murs, une barre de fer avec deux portemanteaux. Rien d’autre, sinon la fenêtre, qui donnait sur l’obscurité. Il était 10 h 15 du soir.

Il accrocha sa veste, ôta ses chaussures et s’allongea sur le lit, se sentant terriblement seul et vulnérable. L’univers semblait grincer et rugir comme un vieux tacot descendant à toute allure une pente conduisant à un abîme sans fond. Ses lèvres se mirent à trembler. Il pleura.

La caméra était à portée de sa main, mais il n’enregistra pas ses larmes. Il regarda le plafond parcouru de fines craquelures, comme certaines céramiques, et essaya de réfléchir. Ils étaient à sa poursuite depuis huit heures. Il avait donc gagné huit cents dollars. Même pas le montant de son avance !

Et il ne s’était pas vu au Libertel. Il avait manqué l’épisode où il était coiffé de la taie d’oreiller.

Où étaient-ils ? Toujours à Harding ? A New York ? En route pour Boston ? Non, pas encore. Ce n’était pas possible. Le bus n’avait rencontré aucun barrage de police. Il avait quitté anonymement la plus grande ville du monde, et était descendu ici sous un
autre
faux nom. Ils ne pouvaient pas l’avoir repéré. Pas si vite.

Boston serait sans doute sûr pendant deux jours. Ensuite, quoi ? Le New Hampshire ou le Vermont, au nord. Ou bien Hartford, Philadelphie, voire Atlanta, au sud. A l’est, c’était l’océan, et, au-delà, l’Angleterre et l’Europe. Une idée tentante, pour sûr, mais de réalisation difficile. Pour acheter un billet d’avion, il fallait montrer ses papiers, sans oublier que la loi martiale était en vigueur en France. Trop dangereux. L’Ouest était évidemment exclu : c’était de là qu’il venait.

Il fallait absolument se procurer un pistolet. Sans tarder. Mais ce soir, il était trop las. Le voyage en car l’avait vidé. C’est fatigant d’être un fugitif. Richards avait besoin de sommeil. Il avait la certitude instinctive, presque animale, que bientôt il dormirait dans un fossé à moitié gelé (on était en octobre) ou dans un égout. Le pistolet attendrait bien un jour.

Il ferma la lumière et attendit le sommeil.

Compte à rebours...
071

C’était l’heure du
One man show
. Richards mit la caméra en marche, puis lui tourna le dos, lui présentant ses fesses, et se mit à fredonner l’air du générique de
La Grande Traque
.

Il s’était toujours considéré comme un homme peu démonstratif, guère enclin à la plaisanterie. La caméra et la perspective d’une mort prochaine avaient révélé en lui un comédien doté d’un indubitable sens de l’humour.

Lorsque la cassette s’éjecta, il décida d’attendre l’après-midi pour enregistrer la seconde. Il trouverait peut-être quelque chose de moins assommant que cette chambre solitaire.

Après s’être habillé, il alla regarder par la fenêtre.

Jeudi matin... La circulation était dense dans Huntington Avenue. Les deux trottoirs étaient pleins de piétons. La plupart avançaient lentement. Quelques-uns s’attardaient, mais pas trop longtemps, devant des affiches proclamant en lettres d’un jaune éclatant : EMPLOIS. A chaque coin de rue, se tenait un flic, qui faisait tournoyer son aiguillon, l’air de dire :
circulez, circulez, vous n’avez rien à faire ici
. Les gens comprenaient le message et évitaient de s’attarder. Mal aux pieds ou pas, il fallait continuer à marcher.

Richards se demanda s’il pouvait risquer d’aller prendre une douche. Après mûre réflexion, il décida de tenter le coup. Une serviette sur l’épaule, il gagna les toilettes sans rencontrer personne.

L’odeur avait de quoi faire tourner de l’œil : un mélange d’urine, de merde, de vomi et de désinfectant. Bien sûr, les portes des W.— C. avaient toutes été arrachées. Au-dessus de la rangée d’urinoirs, quelqu’un avait marqué en lettres de trente centimètres de haut À BAS LE RÉSEAU, la façon dont les caractères étaient tracés reflétait fidèlement sa rage et sa frustration. Dans un des urinoirs, il y avait un gros tas d’excréments, sur lequel se promenaient quelques mouches paresseuses. « En voilà un qui devait être complètement bourré », pensa Richards. Il n’était même pas dégoûté ― mais content d’avoir pensé à mettre ses chaussures.

Il se retrouva seul dans la salle de douches au carrelage craquelé et aux tuyauteries couvertes d’une épaisse couche de rouille. Il ouvrit le robinet marqué « chaud » au maximum et patienta cinq minutes avant d’obtenir un jet d’eau tiède. Il se lava rapidement, avec un bout de savon trouvé par terre. La direction avait dû oublier d’en mettre dans les chambres, ou bien la soubrette avait filé avec.

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