Le Jour des Fourmis (62 page)

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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

BOOK: Le Jour des Fourmis
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— Dans une station de
métro ?

— Mais il est 6 heures, c’est
l’heure de pointe. Il doit y avoir foule, s’effara Méliès.

— Chaque seconde est précieuse.
Si nous laissons passer cette occasion, nous perdrons définitivement 103
e
et alors…

— Fonçons !

200. INSTANT DE DÉTENTE

Deux grosses fourmis aux yeux verts
et au rictus mauvais s’approchent d’un monceau de saucisses, de pots de
confitures, de pizzas et de choucroutes garnies.

— Nierk, nierk, les humains ont
le dos tourné ! Régalons-nous !

Les deux fourmis se précipitent sur
les plats. Elles utilisent des ouvre-boîtes pour crever des conserves de
cassoulet, elles se servent des rasades de champagne et trinquent dans des
flûtes.

Soudain un projecteur les éclaire et
une bombe pulvérise un nuage jaune.

Les deux fourmis lèvent haut leurs
sourcils et écarquillent leurs gros yeux verts en hurlant :

— Au secours, voilà
PROPMAISON !

— Non, pas PROPMAISON, tout
mais pas PROPMAISON !

Vapeurs noires.

— Aaaaargggghhhhhhhh.

Les deux fourmis s’effondrent à
terre. Travelling arrière. Un homme brandit une bombe aérosol avec, inscrit en
grosses lettres : PROPMAISON.

Souriant, il s’adresse à la caméra.
« Avec les beaux jours et la recrudescence de la chaleur, les cancrelats,
les fourmis, les blattes prolifèrent. PROPMAISON est la solution. PROPMAISON
tue sans discrimination tout ce qui grouille dans vos placards. PROPMAISON est
sans danger pour les enfants et sans pitié pour les insectes. PROPMAISON est un
nouveau produit CCG. La CCG c’est l’efficacité. »

201. POURSUITE DANS LE MÉTRO

Ils étaient complètement survoltés.
Jacques Méliès, Laetitia Wells et Juliette Ramirez bousculèrent sans ménagement
les usagers.

— Vous n’avez pas vu une
fourmi ?

— Pardon ?

— Elle a dû aller par là, j’en
suis sûre, les fourmis aiment la pénombre. Il faut chercher dans les coins
sombres.

Jacques Méliès prit un passant
à-partie.

— Regardez où vous mettez les
pieds, bon sang, vous seriez capable de la tuer !

Personne ne comprenait leur manège.

— La tuer ? Tuer
qui ? Tuer quoi ?

— 103
e
 !

Et comme à leur habitude, la plupart
des voyageurs les dépassaient, refusant de voir ou d’entendre les
perturbateurs.

Méliès s’adossa au mur carrelé.

— Bon sang, chercher une fourmi
dans une station de métro, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de
foin.

Laetitia Wells se frappa le
front !

— Mais, la voilà, l’idée !
Comment ne pas y avoir pensé plus tôt ! « Chercher une aiguille dans
une botte de foin…»

— Que veux-tu dire ?

— Comment fait-on pour chercher
une aiguille dans une botte de foin ?

— C’est impossible !

— Mais si, c’est possible. Il
suffit d’utiliser la bonne méthode. Pour trouver une aiguille dans une botte de
foin, rien de plus facile : on met le feu au foin puis on passe un aimant
dans les cendres.

— D’accord, mais quel rapport
avec 103
e
 ?

— C’est une image. Il suffit de
trouver la méthode. Et il y a forcément une méthode !

Ils se concertèrent. Une
méthode !

— Jacques, tu es policier,
alors commence par demander au chef de station d’évacuer tout le monde.

— Il n’acceptera jamais, c’est
l’heure de pointe !

— Dis qu’il y a une alerte à la
bombe ! Il ne prendra jamais le risque d’avoir des milliers de morts sur
la conscience.

— D’accord.

— Bon, Juliette, seriez-vous
capable de fabriquer une phrase phéromonale ?

— Laquelle ?

— « Rendez-vous dans la
zone la plus éclairée. »

— Pas de problème ! Je
peux même en faire 30 centilitres qu’on vaporisera partout avec un spray.

— Parfait.

Jacques Méliès s’enthousiasma.

— Je comprends. Tu veux
installer un puissant projecteur sur le quai pour qu’elle le rejoigne.

— Les fourmis rousses de mon
vivarium allaient toujours vers la lumière. Pourquoi ne pas essayer…

Juliette Ramirez fabriqua la phrase
odorante « Rendez-vous dans la zone la plus éclairée » et revint avec
cet appel dans un vaporisateur de parfum.

Les haut-parleurs de la station
demandèrent à tout le monde d’évacuer dans l’ordre et le calme. Tout le monde
poussa, hurla, bouscula, piétina. Chacun pour soi et Dieu pour tous.

Quelqu’un lança « Au
feu ! ». Ce fut l’affolement. L’appel fut repris par tous. La foule
se précipita. On renversa les grilles de séparation des travées. Les gens se
battaient pour passer. Les haut-parleurs avaient beau ordonner « Restez
calmes, pas de panique », ces mots obtenaient un effet contraire à celui
recherché.

Devant la cavalcade de semelles
s’abattant tout autour d’elle, 103
e
décide de se dissimuler dans
l’interstice d’une lettre de faïence de la station « Fontainebleau ».
La sixième de l’alphabet. La lettre F. Là, elle attend que le brouhaha des
odeurs de sueurs doigtières s’apaise.

202. ENCYCLOPÉDIE

ABRACADABRA : La formule magique
« Habracadabrah » signifie en hébreu « Que cela se passe comme
c’est dit » (que les choses dites deviennent vivantes). Au Moyen Age, on
l’utilisait comme incantation pour soigner les fièvres. L’expression a été
ensuite reprise par des prestidigitateurs, exprimant par cette formule que leur
numéro touchait à sa fin et que le spectateur allait assister maintenant au
clou du spectacle (le moment où les mots deviennent vivants ?). La phrase
n’est cependant pas aussi anodine qu’il y paraît à première vue, il faut
inscrire la formule que constituent ces neuf lettres (en hébreu on n’écrit pas
les voyelles HA BE RA HA CA AD BE RE HA, ce qui donne donc : HBR HCD BRH)
sur neuf couches et de la manière suivante, afin de descendre progressivement
jusqu’au « H » originel (Aleph : qui se prononce Ha) :

 

HBR HCD BRH

HBR HCD BR

HBR HCD B

HBR HCD

HBR HC

HBR H

HBR

HB

H

 

Cette disposition est conçue de
manière à capter le plus largement possible les énergies du ciel et à les faire
redescendre jusqu’aux hommes. Il faut imaginer ce talisman comme un entonnoir,
autour duquel la danse spiralée des lettres constituant la formule
« Habracadabrah » déferle en un tourbillonnant vortex Il happe et
concentre en son extrémité les forces de l’espace-temps supérieur.

Edmond Wells,

Encyclopédie
du savoir relatif et absolu, tome II.

203. UNE FOURMI DANS LE MÉTRO

Ça y est, la foule s’est dispersée.
103
e
sort de sa cachette et marche dans les vastes couloirs du
métro. Décidément, elle ne se fera jamais à ce lieu. Elle n’aime pas cette
lumière de néon d’un blanc dur.

Soudain elle sent dans l’air un
message phéromonal : « Rendez-vous dans la zone la plus
éclairée. » Elle reconnaît cet accent olfactif. C’est celui de la machine
à traduire des Doigts. Bon ! Il n’y a plus qu’à chercher le coin le plus
éclairé.

204. IMPOSSIBLE RENCONTRE

Ça ferraille partout dans la cité de
Bel-o-kan. Des rebelles tombent du plafond. Aucune soldate ne vient à la
rescousse de la reine. On se bat entre les cadavres secs des déistes. Mais
rapidement, les combats tournent à l’avantage des plus nombreuses.

Chli-pou-ni est entourée de
mandibules qu’elle pressent hostiles. On dirait que ces fourmis ne
reconnaissent pas ses phéromones royales. L’une d’elles s’approche, mandibules
largement écartées, comme si elle voulait la décapiter. Et la tueuse émet en
approchant :

Les Doigts sont nos dieux !

C’est la solution. Il faut rejoindre
les Doigts. Chli-pou-ni n’a pas l’intention de se laisser tuer. Elle se jette
dans la mêlée, bouscule les mandibules et les antennes qui tentent de la
stopper, galope dans tous les couloirs qui descendent. Plus qu’une seule
direction : les Doigts.

Étage – 45. Étage – 50. Elle
découvre très vite le passage qui conduit sous la Cité. Derrière elle, les
rebelles déistes la poursuivent et elle sent leurs odeurs hostiles.

Chli-pou-ni traverse le couloir de
granit et pénètre dans la « Deuxième Bel-o-kan », la cité secrète que
sa mère a jadis bâtie pour venir s’y entretenir avec les Doigts.

Au centre se trouve une silhouette
d’où part un gros tuyau.

Chli-pou-ni sait quel est cet être
mal taillé dans de la résine. Les espionnés lui ont appris son nom.
« Docteur Livingstone ».

La reine s’en approche. Les déistes
la rejoignent, elles l’encerclent mais la laissent avancer vers le représentant
de leurs dieux.

La souveraine touche les antennes de
la pseudo-fourmi.

Je suis la reine Chli-pou-ni,
émet-elle sur son premier segment.

En même temps, par ses dix autres
segments antennaires, elle lance en vrac et sur toutes les longueurs d’ondes
olfactives une multitude d’informations.

J’ai l’intention de vous sauver.
Dorénavant, je me charge de vous nourrir. Je veux parler avec vous.

Comme si elles aussi attendaient un
prodige, les déistes ne bronchent pas.

Cependant, rien ne se passe. Depuis
plusieurs jours, les dieux se sont tus et même à la reine, ils refusent de
parler.

Chli-pou-ni augmente l’intensité
olfactive de ses messages. Pas le moindre frémissement chez le Docteur
Livingstone. Il reste immobile.

Soudain, une pensée traverse
l’esprit de la souveraine avec la vivacité et la force lumineuse d’un éclair.

Les Doigts n’existent pas. Les
Doigts n’ont jamais existé.

Une gigantesque mystification, des
rumeurs, des histoires, de fausses informations répandues par les phéromones de
plusieurs générations de reines et par des mouvements de fourmis malades.

103
e
a menti. Mère
Belo-kiu-kiuni a menti. Les rebelles mentent. Tout le monde ment.

Les Doigts n’existent pas et
n’ont jamais existé.

Ici s’arrêtent toutes ses pensées. Une
dizaine de lames de mandibules déistes transpercent son poitrail.

205. A LA RECHERCHE DE 103
e

Le chef de station avait éteint
toutes les lumières, comme Méliès le lui avait ordonné. Il leur avait ensuite
fourni une torche assez puissante pour illuminer le quai. Juliette Ramirez et
Laetitia Wells avaient vaporisé la phéromone d’appel dans toute la station. Il
ne leur restait plus qu’à attendre, impatients, le cœur battant, que 103
e
s’approche de leur phare.

103
e
aperçoit des ombres,
générées par une lumière plus puissante que les néons qu’elle a appris à
connaître. Conformément au message qu’ont répandu les Doigts
« gentils » pour la retrouver, elle avance vers la zone éclairée. Ils
doivent être là à l’attendre. Quand elle les aura rejoints, tout rentrera dans
l’ordre.

Comme elle était longue, cette
attente ! Jacques Méliès, incapable de rester en place, faisait les cent
pas dans le couloir. Il alluma une cigarette.

— Éteins ça. L’odeur de la
fumée pourrait la faire fuir. Elle a horreur du feu.

Le policier éteignit sa cigarette du
talon et repris sa marche.

— Arrête donc de marcher. Tu
pourrais l’écraser si elle arrivait par là.

— Ne t’inquiète pas pour ça,
s’il y a bien quelque chose que je n’arrête pas de faire depuis des jours,
c’est regarder où je mets les pieds !

103
e
voit de nouvelles
plaques s’approcher d’elle. Cette phéromone est un piège. Des Doigts tueurs de
fourmis ont répandu le message pour mieux la tuer. Elle fuit.

Laetitia Wells la repéra dans le
cercle de lumière.

— Regardez ! Une fourmi
toute seule. C’est sûrement 103
e
. Elle s’est approchée et tu lui as
fait peur, avec tes semelles. Si elle s’enfuit, nous la perdrons de nouveau.

Ils avancèrent à petits pas, mais
103
e
détala.

— Elle ne nous reconnaît pas.
Pour elle, tous les humains sont des montagnes, se désola Laetitia.

Ils lui présentèrent leurs Doigts et
leurs mains, mais 103 slaloma comme elle l’avait déjà fait lors du pique-nique.
Elle fonça vers le ballast.

— Elle ne nous reconnaît pas.
Elle ne reconnaît pas nos mains. Elle contourne nos Doigts ! Que
faire ? s’exclama Méliès. Si elle sort du quai, on ne la retrouvera jamais
dans les graviers !

— C’est une fourmi. Avec les
fourmis, il n’y a que les odeurs qui fonctionnent. Tu as ton
stylo-feutre ? L’encre sent fort, assez en tout cas pour l’arrêter.

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