Read Collected Poems in English and French Online
Authors: Samuel Beckett
à travers la mince cloison
ce jour où un enfant
prodigue à sa façon
rentra dans sa famille
j'entends la voix
elle est émue elle commente
la coupe du monde de football
toujours trop jeune
en même temps par la fenêtre ouverte
par les airs tout court
sourdement
la houle des fidèles
son sang gicla avec abondance
sur les draps sur les pois de senteur sur son mec
de ses doigts dégoûtants il ferma les paupières
sur les grands yeux verts étonnés
elle rode légère
sur ma tombe d'air
entre la scène et moi
la vitre
vide sauf elle
ventre à terre
sanglée dans ses boyaux noirs
antennes affolées ailes liées
pattes crochues bouche suçant à vide
sabrant l'azur s'écrasant contre l'invisible
sous mon pouce impuissant elle fait chavirer
la mer et le ciel serein
musique de l'indifférence
coeur temps air feu sable
du silence éboulement d'amours
couvre leurs voix et que
je ne m'entende plus
me taire
bois seul
bouffe brûle fornique crève seul comme devant
les absents sont morts les présents puent
sors tes yeux détourne-les sur les roseaux
se taquinent-ils ou les aïs
pas la peine il y a le vent
et l'état de veille
ainsi a-t-on beau
par le beau temps et par le mauvais
enfermé chez soi enfermé chez eux
comme si c'était d'hier se rappeler le mammouth
le dinothérium les premiers baisers
les périodes glaciaires n'apportant rien de neuf
la grande chaleur du treizième de leur ère
sur Lisbonne fumante Kant froidement penché
rêver en générations de chênes et oublier son père
ses yeux s'il portait la moustache
s'il était bon de quoi il est mort
on n'en est pas moins mangé sans appétit
par le mauvais temps et par le pire
enfermé chez soi enfermé chez eux
à mi-hauteur
je débraye et béant de candeur
expose la plaque aux lumières et aux ombres
puis repars fortifié
d'un négatif irrécusable
encore le dernier reflux
le galet mort
le demi-tour puis les pas
vers les vieilles lumières
again the last ebb
the dead shingle
the turning then the steps
towards the lights of old
De là où nous sommes assis plus haut que les gradins
je nous vois entrer du côté de la Rue des Arènes,
hésiter, regarder en l'air, puis pesamment
venir vers nous à travers le sable sombre,
de plus en plus laids, aussi laids que les autres,
mais muets. Un petit chien vert
entre en courant du côté de la Rue Monge,
elle s'arrête, elle le suit des yeux,
il traverse l'arène, il disparait
derrière le socle du savant Gabriel de Mortillet.
Elle se retourne, je suis parti, je gravis seul
les marches rustiques, je touche de ma main gauche
la rampe rustique, elle est en béton. Elle hésite,
fait un pas vers la sortie de la Rue Monge, puis me suit.
J'ai un frisson, c'est moi qui me rejoins,
c'est avec d'autres yeux que maintenant je regarde
le sable, les flaques d'eau sous la bruine,
une petite fille traînant derrière elle un cerceau,
un couple, qui sait des amoureux, la main dans la main,
les gradins vides, les hautes maisons, le ciel
qui nous éclaire trop tard.
Je me retourne, je suis étonné
de trouver là son triste visage.
jusque dans la caverne ciel et sol
et une à une les vieilles voix
d'outre-tombe
et lentement la même lumière
qui sur les plaines d'Enna en longs viols
macérait naguère les capillaires
et les mêmes lois
que naguère
et lentement au loin qui éteint
Proserpine et Atropos
adorable de vide douteux
encore la bouche d'ombre
bon bon il est un pays
où l'oubli où pèse l'oubli
doucement sur les mondes innommés
là la tête on la tait la tête est muette
et on sait non on ne sait rien
le chant des bouches mortes meurt
sur la grève il a fait le voyage
il n'y a rien à pleurer
ma solitude je la connais allez je la connais mal
j'ai le temps c'est ce que je me dis j'ai le temps
mais quel temps os affamé le temps du chien
du ciel pâlissant sans cesse mon grain de ciel
du rayon qui grimpe ocellé tremblant
des microns des années ténèbres
vous voulez que j'aille d'A à B je ne peux pas
je ne peux pas sortir je suis dans un pays sans traces
oui oui c'est une belle chose que vous avez là une bien
belle chose
qu'est-ce que c'est ne me posez plus de questions
spirale poussière d'instants qu'est-ce que c'est le même
le calme l'amour la haine le calme le calme
et là être là encore là
pressé contre ma vieille planche vérolée du noir
des jours et nuits broyés aveuglément
à être là à ne pas fuir et fuir et être là
courbé vers l'aveu du temps mourant
d'avoir été ce qu'il fut fait ce qu'il fit
de moi de mon ami mort hier l'oeil luisant
les dents longues haletant dans sa barbe dévorant
la vie des saints une vie par jour de vie
revivant dans la nuit ses noirs péchés
mort hier pendant que je vivais
et être là buvant plus haut que l'orage
la coulpe du temps irrémissible
agrippé au vieux bois témoin des départs
témoin des retours
vive morte ma seule saison
lis blancs chrysanthèmes
nids vifs abandonnés
boue des feuilles d'avril
beaux jours gris de givre
je suis ce cours de sable qui glisse
entre le galet et la dune
la pluie d'été pleut sur ma vie
sur moi ma vie qui me fuit me poursuit
et finira le jour de son commencement
cher instant je te vois
dans ce rideau de brume qui recule
où je n'aurai plus à fouler ces longs seuils mouvants
et vivrai le temps d'une porte
qui s'ouvre et se referme
my way is in the sand flowing
between the shingle and the dune
the summer rain rains on my life
on me my life harrying fleeing
to its beginning to its end
my peace is there in the receding mist
when I may cease from treading these long shifting
thresholds
and live the space of a door
that opens and shuts
que ferais-je sans ce monde sans visage sans questions
où être ne dure qu'un instant où chaque instant
verse dans le vide dans l'oubli d'avoir été
sans cette onde où à la fin
corps et ombre ensemble s'engloutissent
que ferais-je sans ce silence gouffre des murmures
haletant furieux vers le secours vers l'amour
sans ce ciel qui s'élève
sur la poussière de ses lests
que ferais-je je ferais comme hier comme aujourd'hui
regardant par mon hublot si je ne suis pas seul
à errer et à virer loin de toute vie
dans un espace pantin
sans voix parmi les voix
enfermées avec moi
what would I do without this world faceless incurious
where to be lasts but an instant where every instant
spills in the void the ignorance of having been
without this wave where in the end
body and shadow together are engulfed
what would I do without this silence where the murmurs die
the pantings the frenzies towards succour towards love
without this sky that soars
above its ballast dust
what would I do what I did yesterday and the day before
peering out of my deadlight looking for another
wandering like me eddying far from all the living
in a convulsive space
among the voices voiceless
that throng my hiddenness
je voudrais que mon amour meure
qu'il pleuve sur le cimetière
et les ruelles où je vais
pleurant celle qui crut m'aimer
I would like my love to die
and the rain to be raining on the graveyard
and on me walking the streets
mourning her who thought she loved me
hors crâne seul dedans
quelque part quelquefois
comme quelque chose
crâne abri dernier
pris dans le dehors
tel Bocca dans la glace
l'oeil à l'alarme infime
s'ouvre bée se rescelle
n'y ayant plus rien
ainsi quelquefois
comme quelque chose
de la vie pas forcément
something there
where
out there
out where
outside
what
the head what else
something there somewhere outside
the head
at the faint sound so brief
it is gone and the whole globe
not yet bare
the eye
opens wide
wide
till in the end
nothing more
shutters it again
so the odd time
out there
somewhere out there
like as if
as if
something
not life
necessarily
1974
Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s'engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.
Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s'évaporer les soleils,
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire.
(Mourir de ne pas mourir, 1924)
She is standing on my lids
And her hair is in my hair
She has the colour of my eye
She has the body of my hand
In my shade she is engulfed
As a stone against the sky
She will never close her eyes
And she does not let me sleep
And her dreams in the bright day
Make the suns evaporate
And me laugh cry and laugh
Speak when I have nothing to say
(Dying of Not Dying, 1924)
Tous les arbres toutes leurs branches toutes leurs feuilles
L'herbe à la base les rochers et les maisons en masse
Au loin la mer que ton oeil baigne
Ces images d'un jour après l'autre
Les vices les vertus tellement imparfaits
La transparence des passants dans les rues de hasard
Et les passantes exhalées par tes recherches obstinées
Tes idées fixes au coeur de plomb aux lèvres vierges
Les vices les vertus tellement imparfaits
La ressemblance des regards de permission avec les yeux
que tu conquis
La confusion des corps des lassitudes des ardeurs
L'imitation des mots des attitudes des idées
Les vices les vertus tellement imparfaits
L'amour c'est l'homme inachevé.
All the trees all their boughs all their leaves
The grass at the base the rocks the massed houses
Afar the sea that thine eye washes
Those images of one day and the next
The vices the virtues that are so imperfect
The transparence of men that pass in the streets of hazard
And women that pass in a fume from thy dour questing
The fixed ideas virgin-lipped leaden-hearted
The vices the virtues that are so imperfect
The eyes consenting resembling the eyes though didst
vanquish
The confusion of the bodies the lassitudes the ardours
The imitation of the words the attitudes the ideas
The vices the virtues that are so imperfect
Love is man unfinished.
Adieu tristesse
Bonjour tristesse
Tu es inscrite dans les lignes du plafond
Tu es inscrite dans les yeux que j'aime
Tu n'es pas tout à fait la misère
Car les lèvres les plus pauvres te dénoncent
Par un sourire
Bonjour tristesse
Amour des corps aimables
Puissance de l'amour
Dont l'amabilité surgit
Comme un monstre sans corps
Tête désappointée
Tristesse beau visage.
(La vie immédiate, 1932)
Farewell sadness
Greeting sadness
Thou art inscribed in the lines of the ceiling
Thou art inscribed in the eyes that I love
Thou art not altogether want
For the poorest lips denounce thee
Smiling
Greeting sadness
Love of the bodies that are lovable
Mightiness of love that lovable
Starts up as a bodiless beast
Head of hope defeated
Sadness countenance of beauty
(The Immediate Life, 1932)