Réplique (Les enquêtes de Lizzy Gardner t. 1) (French Edition) (22 page)

BOOK: Réplique (Les enquêtes de Lizzy Gardner t. 1) (French Edition)
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Se penchant sur les genoux de Lizzy, Jessica ouvrit la boîte à gants et en sortit une photo de douze centimètres sur dix-sept qu’elle lui tendit. Deux fillettes posaient dans un
jardin.

— C’est moi avec ma sœur aînée, Mary Crawford. C’est celle qui est assise sur la
balançoire.

Mary Crawford
, se répéta Lizzy. L’une des disparues de leur
liste.

— Même mère, différents pères, fit Jessica pour expliquer leurs deux noms de famille. Il y a quatorze ans, Mary a disparu. Je crois qu’elle est toujours en vie. Je veux la retrouver. Et je veux m’assurer que l’homme qui l’a enlevée paiera pour ce qu’il a fait, à ma famille et à
moi.

Lizzy regarda la photo. Une fillette était assise sur la balançoire. La plus âgée se tenait debout derrière elle, les mains sur la corde. Avec leurs grands yeux marron et leurs larges sourires, elles rayonnaient. Le cœur de Lizzy se serra lorsqu’elle détailla la jeune fille sur la balançoire. Le doute n’était pas permis.
C’était elle.
La fille sans voix était la sœur de
Jessica.

 

 

Vendredi 19 février 2010, 18 h
 15

 

M. Louis était un homme élancé, aux cheveux blancs éclatants. Il faisait face au public rassemblé à l’intérieur du gymnase du lycée, soixante-dix à quatre-vingts personnes au
total.

Lizzy attendait sur le côté, près du projecteur, tandis que M. Louis s’adressait à l’assistance composée d’élèves et de
parents.

— Mes deux filles cadettes ont maintenant seize et dix-sept ans, et comme la plupart d’entre vous le savent, elles fréquentent le lycée Granite Bay, commença-t-il. Ma fille aînée, Dana, aurait eu vingt ans la semaine prochaine si elle ne s’était pas fait enlever sur le campus lors de sa deuxième semaine d’université. C’était il y a deux
ans.

Lizzy appuya sur le bouton pour faire défiler les images sur le grand écran derrière M. Louis : Dana lorsqu’elle était bébé, Dana dans les bras de sa mère à l’hôpital, Dana pour son premier jour d’école maternelle, Dana déguisée en princesse lors de la visite d’un champ de citrouilles à l’école élémentaire, et ainsi de
suite.

Un rayon de lumière filtra à travers la porte du gymnase lorsque Jared entra et prit place au dernier rang. Plus tôt dans la journée, Jared avait retrouvé Lizzy et Jessica sur les lieux de l’accident. Il avait parlé à la police pour s’assurer que Jessica, après avoir été sermonnée par plusieurs agents, ne serait pas verbalisée pour conduite dangereuse. Malheureusement, la police n’avait toujours pas retrouvé le 4x4. Ils avaient attendu la dépanneuse, puis Jared les avait emmenées à Cosumnes River College. Là, elles avaient fait circuler une photo de vingt centimètres sur vingt-cinq, sur laquelle on distinguait le coursier qui avait livré l’argent liquide au bureau de Lizzy. Comme le campus était presque vide, elles avaient affiché la photo dans le hall principal, avec une note demandant à quiconque détenait des informations à son sujet de les
appeler.

— On a retrouvé le cadavre de Dana, continuait M. Louis, deux jours après sa disparition. Son corps avait été jeté sur le bas-côté de la route, comme si sa vie n’avait aucune
importance.

Il marqua une pause pour se
ressaisir.

— Je suis ici ce soir pour vous dire que sa vie
avait
de l’importance. Sa vie avait de l’importance pour beaucoup de gens. Il nous a fallu tout le courage du monde, à mon épouse et à moi, pour continuer. À l’époque, nous avions toujours deux filles à la maison, et elles avaient besoin de nous. Plusieurs mois après l’enterrement de Dana, nous avons inscrit nos plus jeunes filles à des cours d’autodéfense.

Il s’interrompit un instant pour balayer la salle du regard et avoir un contact visuel avec son
public.

— De nombreuses familles, au fil des ans, nous ont contactés parce qu’elles avaient peur pour la vie de leurs enfants, sans pour autant pouvoir supporter la charge financière que représentent des cours de karaté ou du matériel de combat. Chaque jeune devrait être préparé, c’est pourquoi j’ai réalisé une vidéo d’autodéfense que vous pouvez télécharger gratuitement. Elizabeth Gardner ici présente dispose de toutes les informations pour ceux d’entre vous qui sont
intéressés.

Une fois que les applaudissements se furent estompés, M. Louis s’assit et Lizzy ralluma la
salle.

— Merci, monsieur
Louis.

— Et crier « au feu » ? demanda une jeune femme. Cela suffirait-il à effrayer un
ravisseur ?

— Faites tout ce que vous pouvez pour vous en sortir, dit Lizzy. Hurlez, criez, donnez des coups de pied, battez-vous. Ne laissez personne vous entraîner dans son véhicule. Il y a des programmes gratuits ici, ajouta-t-elle, et des personnes comme M. Louis prêtes à aider les jeunes femmes à devenir plus fortes. La plupart des gens ignorent qu’une adolescente sur quatre risque d’être agressée sexuellement. Aux États-Unis seulement, on compte environ cent mille enlèvements par an. En ce moment, plus de cinq cent mille agresseurs sexuels notoires se promènent dans nos
rues.

— Pas étonnant qu’on n’ait pas retrouvé Spiderman ! s’exclama quelqu’un.

Même si Lizzy n’avait pas envie de parler de Spiderman, elle ne pouvait pas laisser passer une occasion d’enseigner.

— C’est vrai. Retrouver ces types, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Ils n’ont pas le mot « ravisseur » tatoué sur le
front.

Elle désigna un jeune homme qui avait levé la
main.

— Comment sait-on à quoi ils ressemblent ? demanda-t-il. J’ai lu dans le journal que vous ne saviez plus à quoi ressemblait votre agresseur, même après avoir passé deux mois avec ce
type.

Lizzy n’allait pas laisser ce gamin lui faire perdre son flegme. Elle s’apprêtait à expliquer qu’il faisait sombre à l’extérieur et que son ravisseur portait des vêtements noirs, y compris un masque, lorsqu’une autre élève se leva, la prenant de
vitesse.

— C’est quoi, ton problème ? lança l’adolescente. Elle est ici pour nous aider,
connard.

C’était Hayley Hansen. Dieu merci, elle allait bien. Lizzy s’était inquiétée pour Hayley depuis que la jeune fille était passée chez elle avant de
disparaître.

Le garçon éclata de
rire.

— Pourquoi tu es là, toi ? Il faudrait que tu sois la dernière fille sur terre pour que quelqu’un ait envie de t’enlever.

Jared et M. Louis bondirent en même temps. Avant qu’ils aient pu rejoindre le jeune homme pour l’escorter hors du gymnase, la double porte du fond de la salle s’ouvrit et un courant d’air froid profita de l’irruption d’un groupe de journalistes pour s’engouffrer.

Des appareils photo crépitèrent et des flashs les
éblouirent.

Jared laissa l’adolescent en compagnie de M. Louis et intercepta la journaliste qui remontait en trombe l’allée centrale en direction de Lizzy. La femme passa le bras au-dessus de Jared en tendant son
micro.

— Est-il vrai que Spiderman a laissé un mot qui vous était personnellement adressé dans la chambre de Sophie
Madison ?

Lizzy était aveuglée par la lumière du cameraman. De Jared et de la journaliste, elle ne distinguait que des
silhouettes.

— Je suis en plein cours. S’il vous plaît, prenez vos appareils et sortez du gymnase jusqu’à ce que j’aie fini. Je serai ravie de vous parler quand j’aurai
terminé.

Une autre femme entra dans la salle. Elle passa près de la journaliste et se dirigea droit vers Lizzy. Son visage était couvert de traînées rouges et violacées, comme si elle avait pleuré. Elle n’était pas maquillée. Son nez était rouge vif, ses yeux gonflés et assombris de cernes
noirs.

— C’est vrai ? demanda la femme. Il a pris ma Sophie à cause de
vous ?

Lizzy déglutit. C’était la mère de
Sophie.

— Je l’ignore, répondit-elle. Les mots me manquent pour exprimer à quel point je suis désolée pour votre
fille.

— C’est tout ce que vous avez à
dire ?

La femme serrait les
poings.

— Ma fille est morte et vous pensez que « je suis désolée » va m’aider ?

Sa lèvre inférieure
tremblait.

— Ma Sophie ne méritait pas de mourir. Vous avez passé deux mois avec le tueur, et pourtant vous refusez de révéler aux autorités quoi que ce soit à son sujet. Pourquoi n’avez-vous pas dit au FBI à quoi il ressemble ? Pourquoi ne vous souvenez-vous pas de l’endroit où il habite ? Quel genre de personne êtes-vous pour laisser les autres mourir à cause de l’affection malsaine et déplacée que vous éprouvez pour cet
homme ?

Le cœur de Lizzy se
serra.

— Vous pensez que j’essaie de protéger un
assassin ?

— C’est dans tous les
médias.

Lizzy tenta de discerner Jared à travers la lumière
aveuglante.

— Mais de quoi parle-t-elle ?

La journaliste se débattait pour échapper à Jared, mais il ne cédait
pas.

— Vous l’ignorez ? lança-t-elle. Spiderman a envoyé une lettre à la chaîne d’information Channel 10. Il veut faire savoir au monde entier qu’il est de retour, et que c’est à cause de
vous.

— La seule chose que vous aviez à faire, c’était de coopérer avec la police, reprit la mère de Sophie. C’est tout ce qu’il fallait faire pour que ma fille reste en
vie.

— Vous ne comprenez pas… j’ai essayé d’aider.

Lizzy tendit la main vers la femme, mais la mère de Sophie recula comme si elle craignait que Lizzy ne la
frappe.

— J’essaie de me souvenir de tout ce qui s’est passé, rétorqua Lizzy. Plus que tout au monde, je voulais que Sophie revienne saine et
sauve.

Elle aurait voulu que toutes les jeunes filles reviennent saines et sauves, y compris Mary. Elle n’avait toujours pas le cœur d’annoncer à Jessica que sa sœur était
morte.

M. Louis passa doucement le bras autour des épaules de Mme Madison et la raccompagna vers le fond de la salle. Lizzy l’entendit expliquer que ce n’était pas de sa faute, qu’elle était elle aussi une victime. Mais les paroles de Mme Madison avaient déjà fait mouche, ancrant le doute dans l’esprit de Lizzy. Peut-être avait-elle raison. Peut-être avaient-ils tous raison. Sa mère avait déménagé loin de sa famille et de ses amis suite à ce qui s’était passé… à cause de l’attitude irresponsable de Lizzy. Si elle avait obéi à son père et n’avait pas menti à ses parents, ils seraient toujours ensemble. Son père ne serait pas fâché contre elle, et sa sœur et elle seraient inséparables. Si seulement elle avait été gentille, si elle s’était montrée
obéissante.

Les lumières baissèrent une fois que Jared eut réussi à convaincre la journaliste et son caméraman de patienter à l’extérieur.

Lizzy avait les yeux rivés sur la foule. Tout le monde attendait de voir ce qu’elle avait à dire pour sa défense. Soudain, la salle était bondée.
D’où sortaient tous ces gens ?
Elle tendit la main et s’écria à qui souhaitait l’entendre :

— J’essayais simplement d’aider. Je n’ai jamais voulu faire de mal à qui que ce soit. Je suis désolée. Je suis tellement
désolée.

CHAPITRE 24

Vendredi 19 février 2010, 18 h
 26

 

Cathy écoutait le professeur particulier lui exposer comment il comptait aider Brittany à s’améliorer en mathématiques. M. Gilman souhaitait que ses élèves mettent l’accent sur certaines matières en particulier, comme les nombres entiers ou les fractions. Il lui expliqua qu’au lieu de bourrer le crâne de ses étudiants avec les mêmes types de problèmes, il croyait à la compréhension conceptuelle − elle n’avait aucune idée de ce que cela signifiait. Il avait enseigné à des douzaines d’adolescents qui fréquentaient le lycée de Brittany, et par conséquent, il connaissait bien le programme de l’école.

Cathy se concentrait sur les yeux de M. Gilman, mais son regard était sans cesse attiré par son nez crochu et ses grandes oreilles. L’homme parlait vite et ses mots semblaient n’avoir aucun sens. Mais elle était forcée d’admettre qu’elle n’avait jamais eu la bosse des maths, et elle n’avait pas la moindre idée de ce dont il parlait. Alors qu’il jargonnait à propos de « l’aisance de calcul », elle reporta son attention sur la pièce − désuète, étrangement silencieuse. Par deux fois, elle décela des relents de moisissure, et pourtant la maison semblait avoir été récemment repeinte. À l’exception du drapeau qui claquait dans le vent, hissé sur le mât dans le jardin de devant, on n’entendait pas le moindre bruit. Pas de lave-vaisselle en marche, ni de télévision en fond. Aucun ronronnement étouffé de machine à laver ou de sèche-linge. Pourtant, il y avait bien quelque chose − des coups sourds résonnaient de temps à autre, dans le jardin ou dans le sous-sol, probablement sous l’effet du vent − difficile à
déterminer.

Enfin, M. Gilman se tourna vers Brittany. Sa fille feuilletait son manuel de mathématiques pour lui montrer quel chapitre elle était en train d’étudier en cours. Malgré l’odeur, le salon était propre et bien
rangé.

Brittany haussa les sourcils lorsque Cathy regarda dans sa direction − c’était le signal de Cathy pour lui indiquer qu’elle allait l’attendre dans la
voiture.

— C’était un plaisir de vous rencontrer, annonça Cathy à M. Gilman. Je ferais mieux de vous laisser travailler, tous les
deux.

L’homme semblait plutôt gentil. Mais il y avait quelque chose de singulier chez ce M. Gilman qui la mettait mal à l’aise.

— J’attendrai dans ma voiture, dit-elle en désignant l’extérieur.

Il ouvrit grand les
yeux.

— Il fait bien trop froid. Prenez un magazine et installez-vous dans le séjour si vous ne rentrez pas chez
vous.

— Ça ira, insista-t-elle. J’ai un livre dans ma voiture et je peux toujours allumer le
chauffage.

Il avait beau lui proposer de rester, elle préférait l’idée d’attendre à l’extérieur. Une araignée passa en frétillant sur le sol juste devant elle. Elle sursauta avant d’éclater de rire en entendant le petit cri haut perché qui venait de lui
échapper.

Brittany secoua la tête, visiblement
gênée.

— Ce n’est qu’un insecte,
maman.

L’araignée détala et disparut dans une fissure
invisible.

— Apparemment, il est grand temps que j’appelle le service de lutte contre les nuisibles, dit M.
 Gilman.

Cathy parvint à esquisser un sourire et se dirigea vers la porte. Une rafale d’air froid lui balaya le visage. Elle descendit du trottoir vers sa voiture, attentive au moindre bruit, au moindre mouvement. Elle prit une grande inspiration. L’air sentait l’herbe tondue, tout paraissait normal. La lune pleine et lumineuse éclairait son chemin jusqu’à sa
voiture.

Le psychopathe de Lizzy était-il là, quelque part, à la
regarder ?

Elle était tentée de crier pour l’appeler, mais elle se refréna. Elle réalisa que ce qu’elle ressentait n’était qu’un aperçu de ce que Lizzy avait enduré pendant toutes ces
années.

Des frissons la
parcoururent.

C’est donc ça, avoir peur de sa propre
ombre ?

Cathy regarda la maison de l’autre côté de la rue. La télévision projetait sa lumière vacillante dans la pièce. La main sur la poignée de sa portière, elle jeta un œil derrière elle, par-dessus son épaule, et fut soulagée d’apercevoir la cuisine illuminée de M. Gilman, qui laissait entrevoir la silhouette de sa fille. Elle ouvrit sa voiture et se glissa derrière le volant. Puis elle verrouilla la portière et
attendit.

 

 

Vendredi 19 février 2010, 19 h
 48

 

Hayley Hansen regarda Lizzy sortir, au bras de l’homme qui l’avait protégée des médias à l’intérieur du gymnase. Ils montèrent ensemble dans sa voiture, qui démarra avant que Hayley ait eu l’occasion de lui parler. Elle était désolée d’être partie si brusquement l’autre soir, elle appréciait que Lizzy prenne ainsi le temps d’aider les jeunes comme elle, et elle avait envie de lui dire qu’il restait peu de gens au grand cœur dans ce monde. Elle était bien placée pour le
savoir.

Hayley n’aimait pas ce que le garçon impoli avait dit à Lizzy. Même la journaliste n’avait pas osé, et pourtant c’était son métier de poser des questions indélicates. Personne dans le gymnase ce soir-là n’avait la moindre idée de ce que Lizzy Gardner avait traversé. Hayley ne connaissait pas non plus les détails, mais elle savait reconnaître une âme en peine quand elle en croisait
une.

Elle était assise sur le trottoir, les coudes sur les genoux. Elle regardait les journalistes emballer leurs caméras et leurs lampes, rangeant leurs équipements coûteux dans leurs fourgons sans se soucier le moins du monde du trouble qu’ils avaient causé. Ce soir, certains élèves auraient pu apprendre quelque chose si on les avait laissés écouter Lizzy. Hayley avait déjà entendu son discours, mais personne ne savait toucher son cœur comme Lizzy. Elle considérait les jeunes comme ses égaux et s’adressait à eux parce qu’elle était déjà passée par là. Lizzy avait côtoyé le diable en personne et vivait aujourd’hui pour en
parler.

Hayley n’avait pas besoin d’être enlevée pour savoir ce que jouer avec le feu signifiait. Elle alluma une Marlboro et inspira une longue bouffée, remplissant ses poumons de formaldéhyde, d’ammoniac et de sulfure d’hydrogène.

Alors que le camion satellite faisait ronfler son moteur et que les dernières voitures sortaient du parking, la journaliste menue assise sur le siège passager du fourgon baissa sa vitre et passa la tête au-dehors.

Hayley souffla la fumée de ses poumons en regardant les cheveux bruns soyeux de la femme voleter autour de son visage en forme de
cœur.

Le vent était si fort ce soir-là que les volutes disparaissaient dès qu’elles franchissaient les lèvres de Hayley. Impossible de cracher des ronds de fumée par ce
temps.

— Tu as besoin qu’on te dépose quelque part ? demanda la
journaliste.

C’était vendredi soir. Où pouvait-elle aller ? Chez elle, pour se faire sodomiser par l’un des amis ivrognes de sa
mère ?

— Non, merci. Ça
va.

Hayley tira une autre bouffée sur sa
cigarette.

— Tu en es sûre ? Quelqu’un vient te
chercher ?

— Oui. Ils ne devraient pas
tarder.

Ce n’était pas un mensonge de plus ou de moins qui l’empêcherait d’aller en
enfer.

— Très bien, si tu en es
sûre.

Hayley vit la journaliste remonter sa vitre. Ce devait être un camion ancien modèle, car elle dut s’échiner sur la poignée pour parvenir à bien la refermer. Hayley se demanda si ce tour de force était le travail le plus difficile que la journaliste ait eu à accomplir cette semaine. En la jugeant ainsi, elle ressentit une pointe de culpabilité. Hayley était bien placée pour savoir qu’on ne pouvait vraiment pas évaluer un livre à sa couverture. C’est une leçon qu’elle avait apprise chez son grand-père, où on l’avait envoyée quand elle avait huit ans. Le vieil homme paraissait si gentil.
Qui aurait
cru ?

Le camion s’éloignait et la journaliste la dévisageait toujours d’un air inquiet. Hayley agita la main en espérant la tranquilliser. Bijoux raffinés, chevelure parfaite, dents blanches régulières… elle n’en voulait pas à cette femme d’avoir eu plus de chance dans la vie que la plupart des
gens.

Hayley tira une dernière longue bouffée avant de jeter sa cigarette sur l’asphalte. Elle l’écrasa du talon pour l’éteindre. Un départ de feu serait vite arrivé avec ce vent. Mais elle n’était pas pyromane. Elle n’avait jamais compris les gens qui aimaient abîmer les affaires des autres pour la simple beauté du
geste.

Elle regarda autour d’elle. Le parking était désert. L’obscurité ne tarda pas à tomber, tandis que des nuages sombres et volumineux s’amoncelaient au-dessus de sa tête. La température avait fortement chuté depuis son arrivée, une heure plus
tôt.

Alors qu’elle envisageait de se mettre en route, elle sentit un regard sur elle. Oui, il était bien là. Il était venu. Elle savait qu’il viendrait. Il surveillait Lizzy. D’après les médias, il avait laissé un message personnel à Lizzy Gardner pour l’informer qu’il avait repris ses
activités.

Sophie Madison avait assisté à plusieurs cours de défense dispensés par Lizzy, ce qui signifiait que Spiderman visait toutes les personnes qui avaient affaire à elle de près ou de loin. Les médias avaient également annoncé que Lizzy prendrait la parole à l’école ce soir-là. Il était donc ici… quelque part… aux
aguets.

Oui, cet enfoiré de psychopathe cherchait Lizzy, mais à cet instant-là, elle espérait qu’il jetterait son dévolu sur quelqu’un de plus jeune et de plus coriace. Elle en savait suffisamment à son sujet pour deviner qu’elle ne l’intéressait absolument pas. Pourtant, elle était assise dans le noir, toute seule ; comment pourrait-il
résister ?

C’était un
appât.

Les flics utilisaient des appâts tout le temps pour pincer les dealers de drogue et les prostituées. Cela fonctionnait sur les poissons, tout comme sur les humains incapables de résister à une petite
tentation.

Elle avait tout lu au sujet de Spiderman. Elle en savait probablement davantage sur lui que sur Lizzy. Il espionnait ses victimes, s’informait sur toutes leurs peurs − ce qu’elles aimaient, ce qu’elles n’aimaient
pas.

Toutefois, lui ne savait rien de Hayley Hansen. Il ignorait que la chose la plus terrifiante qu’il puisse lui faire était de la ramener chez elle. Elle sourit intérieurement en enfonçant la main dans la poche de son manteau pour s’assurer d’y trouver sa lame de huit centimètres avec crochet d’éviscération. Accroché à sa chaussure, elle avait un couteau de botte à double tranchant, outil de survie élémentaire. Enfin et surtout, un petit canif était stratégiquement glissé dans son shorty en nylon, sous son jean, pour les cas d’urgence.

Elle avait anticipé son arrivée, mais elle restait perplexe. En effet, si elle savait qu’il espionnerait Lizzy, alors pourquoi le FBI n’avait-il pas prévu le coup ? Où étaient donc ces types en noir quand on avait besoin d’eux ?

Elle avait mis son plan au point quelques jours plus tôt. C’était la véritable raison pour laquelle elle voulait voir Lizzy − lui parler de la manière d’appâter Spiderman pour qu’il sorte de sa cachette. Mais les traits tirés de Lizzy lui avaient aussitôt fait changer d’avis… du moins, jusqu’à ce qu’elle voie le visage de Lizzy affiché sur toutes les chaînes d’information. C’est alors que Hayley avait décidé d’attraper toute seule le meurtrier. Apparemment, Hayley et Lizzy avaient autre chose en commun. Elles nourrissaient toutes deux une culpabilité mal placée. Autrement, pourquoi Spiderman aurait-il envoyé à Channel 10 une lettre qui rejetait toute la responsabilité de ses actes sur Lizzy ? Il
savait
qu’elle se sentirait coupable et il savourait la perspective de rendre Lizzy malheureuse. Spiderman n’aimait pas que Lizzy s’affermisse chaque jour un peu
plus.

Au cas où son plan ne se déroulerait pas comme prévu, Hayley sortit la lettre qu’elle avait écrite pour Lizzy et la glissa dans l’interstice entre l’herbe humide et le trottoir en ciment. Elle ne voulait pas que Spiderman puisse voir ce qu’elle faisait, ni que le vent emporte le papier au loin. S’il cherchait à poser la main sur elle, elle avait l’intention de le tuer. Mais dans l’éventualité où les choses tourneraient mal, elle voulait laisser une preuve. Beaucoup de jeunes attendaient leurs parents sur ce même trottoir tous les jours. Tôt ou tard, quelqu’un finirait forcément par trouver sa
lettre.

Les coups de tonnerre et le souffle du vent ne suffisaient pas à masquer le bruit de ses pas. Il
approchait.

Elle avait envie d’allumer une autre cigarette. À la place, elle baissa la main et détacha le couteau de sa botte. Tuer l’odieux assassin, décharger sur lui toutes ses frustrations, était une bien meilleure perspective que rentrer chez elle et se faire violer par l’un des copains dealers de sa
mère.

Il était juste derrière elle. Elle pouvait humer son après-rasage − un tueur qui prenait des douches régulières.
Pourquoi
pas ?

Au moment où elle sentit sa main glisser autour de son cou, elle se redressa et abattit son couteau aussi violemment et aussi vite qu’elle le put par-dessus son épaule. La lame s’enfonça profondément. Un grognement accompagné d’un bruit de succion sordide s’ensuivit, lorsqu’elle retira le couteau. Malgré le sang qui giclait dans toutes les directions, inondant son cou et son visage, il ne titubait
pas.

Et
merde !

Il se rua à nouveau sur
elle.

Elle se précipita, son couteau en avant, mais il fit un pas de côté et la saisit au visage. Il appliqua un tissu humide contre son nez et sa bouche. Elle avait beau se tordre et s’agiter, il ne bougea pas d’un pouce. Elle eut le temps de l’apercevoir brièvement, mais il était fort. Il était en train de l’étouffer.

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