Liaison interdite (4 page)

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Authors: Cleden

Tags: #Harlequin HQN

BOOK: Liaison interdite
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– Le plus tôt sera le mieux. Je veux me débarrasser de cette corvée rapidement. Donc on fait comme on a dit : tu viens me chercher à 21 h 30 et on va boire un verre pour oublier cette soirée qui risque d'être ennuyeuse en plus d'être stressante.

– D'accord. Bon, je te laisse, ma belle, il faut que je parte maintenant, sinon je vais arriver en retard au boulot.

Elles s'embrassèrent. Juste avant de claquer la porte sur elle, Élise demanda d'un air mutin :

– Tu vois ton étudiant aujourd'hui ?

Laura tira la langue à son amie, geste que celle-ci interpréta comme un aveu.

– Très bonne journée alors !

Laura et Grégoire s'étaient encore donné rendez-vous en fin d'après-midi. Cette fois, elle lui avait imposé une rencontre au café. Elle préférait travailler dans un endroit public, où elle se sentirait moins tentée de succomber à son charme. Même si à Paris, une entrevue dans un café ressemblait à s'y méprendre à un tête-à-tête amoureux. Heureusement, l'ordinateur et les documents notariés leur laisseraient peu de liberté de discussion. Il fallait vraiment qu'elle s'ôte de la tête ses yeux verts, son adorable sourire, ses mains fortes et douces, son torse puissant… Même si elle se souvenait de leur étreinte comme si elle s'était déroulée la veille, deux semaines avaient passé, et elle était résolue à ne plus jamais recommencer. Elle avait déjà bien assez de problèmes.

Elle chassa ces pensées parasites et prépara les affaires nécessaires à ses cours de la journée.

*  *  *

Sur la banquette d'un café, ils se penchaient à tour de rôle sur l'ordinateur pour décrypter les pattes de mouche des notaires du
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 siècle. Grégoire préférait de loin la tranquillité et l'intimité de la bibliothèque, mais il comprenait la nécessité de ne se retrouver que dans un endroit public afin de ne pas réveiller les tentations. Cependant, comme ils devaient se serrer autour d'une table pour ne pas accaparer quatre places à deux, ils se frôlaient sans cesse. La cuisse de Laura reposait contre la sienne, et il ne faisait aucun effort pour s'écarter. Après tout, il n'y avait pas grand risque à flirter. Ils savaient tous deux que leur relation était sans espoir.

Depuis le début de leur session de travail, une question lui brûlait la langue. Il finit par demander :

– Tu as réussi à rembarrer Duvivier finalement ?

– Non, je vais dîner avec lui. On verra bien si sa proposition de conférence est solide ou si ce n'était qu'un prétexte pour inviter une de ses subalternes au restaurant.

– Quand vous voyez-vous ?

– Demain soir, ici. Mais en quoi ça t'intéresse ?

Grégoire serra les mâchoires. Il n'aimait pas du tout l'idée de la jeune femme forcée à supporter un vieux vicieux toute une soirée juste pour conserver son poste. À vrai dire, il s'imaginait mieux lui-même dînant avec elle.

– Écoute, j'ai une solution à te proposer. Mon colocataire, Damien, a accepté de se faire passer pour ton petit ami.

Laura parut choquée.

– Pourquoi insistes-tu avec cette idée ? Je n'ai pas besoin d'aide, je peux bien me tirer toute seule de cette situation. Je saurai être ferme avec Duvivier, j'ai l'habitude.

Cette réponse ne satisfaisait pas du tout Grégoire. Il s'entêta :

– Laisse-moi faire. Si on le met devant ses incohérences, Duvivier se dégonfle complètement. En tout cas, c'est comme ça qu'il réagit quand j'argumente avec lui au sujet de mon mémoire. Il croit tout savoir, tout contrôler, mais la façade se lézarde vite.

– Tu crois que je ne le sais pas ? Moi aussi je me servirai de ses défauts à mon avantage. Mais je préfère que tu ne te mêles pas de ma vie personnelle. Gardons un lien strictement professionnel.

– Ce n'est pas ce qu'on a depuis le début ? demanda-t-il pince-sans-rire, un sourcil levé.

– Je ne plaisante pas, Grégoire. Ne t'avise pas de t'occuper de mes affaires. Sinon, tu te débrouilleras tout seul avec tes actes notariés.

Grégoire réalisa alors qu'une relation impersonnelle avec Laura ne lui suffirait pas. Leurs vies ne pouvaient pas se croiser et se séparer ainsi ! Il ferait en sorte de se rendre inoubliable. Sa professeur avait en tout cas l'air impressionnée par ses progrès en paléographie.

– Tu as déjà commencé à rédiger ton mémoire ?

– Non, je réfléchis au plan. Il faut d'abord que je tire la substantifique moelle de chaque document. Mon acteur avait une vie agitée : il jouait, chantait, dansait, écrivait des pièces, accumulait des dettes, et je ne serais pas étonné de retrouver son nom dans les archives de police si j'avais le temps d'y jeter un coup d'œil.

– N'hésite pas à me montrer ton plan avant de le soumettre à Duvivier, j'ai fait ma thèse sur un sujet voisin. Ne garde surtout pas la rédaction pour la toute fin, c'est un coup à se retrouver avec un 12 alors que le travail que tu as fourni vaut au moins 18.

– Ne t'inquiète pas. Je sais gérer mon temps.

L'organisation constituait un de ses points forts depuis toujours. Il le lui prouverait le lendemain soir.

*  *  *

– Rappelle-toi : tu arrives une demi-heure après moi, tu t'installes à une table proche et tu viens me sauver à 21 h 30 au maximum, avant si tu vois qu'il tente un geste déplacé.

Élise hocha la tête.

– On en a déjà discuté avant-hier, hier et aujourd'hui, matin, midi et soir. Je crois que je m'en souviendrai.

– Tu n'imagines pas à quel point ce dîner me rend nerveuse.

Rectifiant sa tenue pour qu'elle ait l'air plus sévère encore, Laura allait et venait dans l'appartement. Comme la surface était minuscule, elle donnait le tournis à son amie.

– Assieds-toi et calme-toi, lui dit-elle pour la énième fois.

– Comment trouves-tu ma tenue ?

Laura portait une longue jupe noire, un chemisier boutonné jusqu'au cou et ses cheveux relevés en un chignon sans fioritures.

– On dirait une institutrice de la Belle Époque. Tu es parfaitement anti-sexy, rassure-toi.

Jetant un coup d'œil à la pendule, Laura se rendit compte qu'elle avait laissé passer assez de temps pour avoir un retard de quinze minutes. Il était temps de monter au front. Elle prit son sac, sa veste et sortit. En trente minutes de métro, elle arriva à destination. Avant d'entrer dans le café où son chef l'attendait, sur la place de la Sorbonne, elle regarda par la vitre. La mine sombre, il consultait sa montre régulièrement tout en sirotant ce qui ressemblait à un whisky. Son crâne chauve et les verres de ses lunettes luisaient sous les lustres du café. Il portait un costume gris que son corps gras maltraitait au niveau des coutures.

Elle entra et se dirigea vers Duvivier, sans même feindre d'être essoufflée. Le regard brillant, il se leva pour l'accueillir. Il lui fit une bise sur chaque joue, la main sur son épaule, prolongeant le contact plus que nécessaire. Elle s'installa sur la banquette rouge.

– Je ne pourrai pas rester trop longtemps. Une de mes amies traverse une crise personnelle et j'ai promis de la rencontrer ce soir.

– Ce sera déjà un plaisir de dîner en votre compagnie.

Un plaisir non réciproque.

Elle ne lui retourna pas son sourire et parcourut le menu avec ennui. Le ventre noué, elle doutait de pouvoir avaler quelque chose ce soir. Elle décida d'engager la conversation directement sur les promesses de Duvivier :

– Alors, quel est donc ce colloque dont vous m'avez parlé ?

Il sourit largement.

– Je parie que ça va vous plaire. Si je mène à bien les négociations en cours, vous devriez avoir un créneau d'une heure pour parler de vos chefs de troupe du début du
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e
 siècle, et une table ronde sur les lieux du théâtre avant les salles officielles.

C'est trop beau pour être vrai, il doit y avoir un piège.

– De plus, continua Duvivier, un recueil d'articles paraîtra à l'occasion de ce colloque et, si vous y participez, vous êtes assurée de figurer au sommaire.

– Où cet événement se déroule-t-il ? Faut-il se déplacer en province ?

– Eh non, il s'agit d'un séminaire parisien.

Laura était impressionnée. S'il ne mentait pas, c'était vraiment une chance inespérée qu'il lui offrait ! Ses travaux auraient enfin un peu de publicité. Même si jusque-là, elle avait publié quelques articles dans des revues d'histoire et noué des contacts avec les grands noms de son milieu de recherche, son nom restait encore largement inconnu.

Le serveur arriva et prit leur commande tandis que Laura se demandait comment elle pourrait convaincre Duvivier de négocier cette offre pour elle sans pour autant tomber dans ses manipulations perverses. À ce moment, la porte s'ouvrit sur Élise qui lui adressa un clin d'œil et s'assit à une table libre proche de la vitre. À côté d'une table où… se trouvait Grégoire. Que faisait-il là ? Abasourdie, Laura cligna des paupières, mais ce geste ne le fit pas disparaître. Il agita sa main dans sa direction pour la saluer, un sourire mystérieux aux lèvres. C'est alors que tout dérapa.

Un jeune homme grand et blond s'introduisit dans le café. Grégoire lui fit un signe discret pour lui désigner Laura. L'inconnu se fraya un chemin direct jusqu'à leur table et dit :

– Tu es là, bébé ? Je me suis demandé si tu travaillais tard aujourd'hui encore.

L'air ingénu, il tendit sa main à Duvivier et ajouta :

– Enchanté, monsieur. Je suis Damien, le fiancé de Laura.

– Patrick Duvivier, directeur du département d'histoire moderne.

Le nouvel arrivant embrassa Laura sur les lèvres et s'assit à ses côtés sur la banquette, passant un bras sur son épaule. S'écartant de l'étreinte, la jeune femme s'empourpra et fusilla Grégoire du regard à travers la pièce. Celui-ci haussa les épaules, faussement contrit. À la table voisine, Élise ne semblait rien comprendre de ce qui se déroulait. Crispée, Laura expliqua :

– Je discutais avec mon directeur à propos d'un colloque qui va bientôt être organisé. Il me proposait une conférence.

Et tu me gênes, qui que tu sois.

Duvivier plongea le nez dans son verre.

– Rien de certain pour le moment. Je ne voudrais pas que votre amie se fasse trop d'illusions. Il est toujours délicat d'obtenir une participation dans ce genre d'événements.

Et voilà, il rétrograde. Adieu séminaire !

Le grand blond reprit :

– Oh, allez, dites-moi que vous ferez le maximum. J'ai assisté à la soutenance de thèse de Laura. Elle est merveilleuse à l'oral.

Duvivier s'épongea le front avec un mouchoir en tissu tiré de sa poche.

– J'étais là aussi, dans le jury. Je sais qu'elle est brillante. C'est pour cela que je me bats pour qu'elle soit présente à ce colloque.

– Bien, bien.

Je rêve ou ils parlent de moi comme si je n'étais pas là ? Et qu'est-ce que ce Damien sort comme baratin ? Depuis quand me connaît-il ?

Le serveur les sauva d'un silence gênant en leur servant leurs plats. Damien en profita pour commander un steak-frites. Duvivier ne fit qu'une bouchée de son plat, puis se leva et marmotta une excuse avant de déguerpir.

– On se voit demain au département d'histoire moderne, Laura.

Cette phrase sonnait presque comme une menace.

Dès que la porte se referma sur lui, Élise et Grégoire s'approchèrent. Ce dernier s'installa à la place de Duvivier, en face de Laura qui chipotait dans sa salade. Elle tentait en vain de se calmer, mais la rage qui l'envahissait lui donnait envie de jeter son assiette à la figure de son étudiant.

– Pourquoi as-tu fait ça ? siffla-t-elle finalement. Je t'avais dit de ne pas t'en mêler. Grâce à toi, je ne vais sans doute pas obtenir cette participation au colloque ! Tu es content ?

Grégoire pinça les lèvres :

– Oui, je suis content. Il devrait s'intéresser à toi parce que tu es douée, pas parce que tu es jolie. Il devrait déjà vanter tes mérites à tout le monde au lieu de te faire subir ses avances.

– Il marque un point là, approuva Élise.

– Toi aussi, tu t'y mets ?

– Je t'avais dit qu'elle n'aimerait peut-être pas mes baisers, plaisanta Damien.

C'en était trop pour Laura. Elle roula sa serviette en boule sur la table, posa un billet de vingt euros à côté, enfila sa veste et sortit en claquant des talons. L'air froid lui piqua le nez et les larmes lui montèrent aux yeux. Elle ne se retourna pas pour voir si Élise la suivait ; elle avait besoin d'un moment seule. Elle entendit des pas la poursuivre et se prépara à dire à son amie de rentrer sans elle, mais la personne qui la rattrapa n'était pas Élise.

C'était Grégoire.

– Laisse-moi tranquille ! Tu en as assez fait ! Tu m'as ridiculisée devant mon supérieur, tu m'as ôté toute chance de donner une conférence…

Grégoire la saisit par les bras et plongea son regard vert dans le sien.

– Tu sais que j'ai eu raison.

– Non !

Il l'attira imperceptiblement vers lui. Elle se débattit un instant puis éclata en sanglots. Pour cacher sa détresse, elle fouilla dans son sac à la recherche d'un mouchoir.

– Je ne sais même pas pourquoi je pleure. Tout ça en même temps, c'est trop, je n'arrive pas à gérer.

Une main passée dans ses cheveux, Grégoire la pressa sur son épaule. Elle luttait contre une envie furieuse de le gifler et, en même temps, elle avait envie de se laisser bercer par sa chaleur. Il releva son menton et se pencha vers elle. Elle ferma les yeux pour recevoir son baiser, puis lorsque leurs lèvres se rencontrèrent, elle réalisa ce qu'elle faisait – de nouveau – et s'arracha à son étreinte avant de dévaler la rue vers la station de métro.

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