Les Assassins (58 page)

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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

BOOK: Les Assassins
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Il baissa la tête et regarda Irving droit dans les yeux. « Mais ce que je veux plus que tout au monde, ce sont des résultats. »

Irving ne réagit pas. Il connaissait la rengaine, il l’entendrait encore mille fois tant que cette affaire ne serait pas résolue. Il n’osait même pas envisager qu’elle puisse ne pas l’être.

« Alors allez-y, continua Farraday. Voyez ce que vous comptez faire et dites-moi de quoi vous avez besoin. Je verrai si je peux vous le donner. »

Irving lui lança un sourire caustique. « Une couverture par toutes les chaînes de télé. Trois cents inspecteurs de la Criminelle. Et la garde nationale, pour faire bonne mesure.

— Avec ces choses-là, on doit toujours être parfaitement au point, Ray. Je ne vais pas vous faire un dessin. Les questions pleuvent sur vous, vous n’y répondez pas. On est sur un scénario “aucun commentaire” de A à Z. Ne leur donnez jamais l’impression que vous ne contrôlez pas totalement la situation…

— Je sais. Je sais », répondit Irving sur un ton qui trahissait son ras-le-bol.

Farraday se pencha vers lui, les coudes sur la table, les mains jointes, comme en une prière. « Dites-moi… Dites-moi sincèrement si vous avez un début de commencement d’idée sur l’identité de ce type.

— Je n’ai pas le début d’un commencement d’idée sur l’identité de ce type.

— Rien ?

— Rien.

— Rien parmi le groupe de gens que Costello retrouvait dans ce fameux hôtel ? demanda Farraday.

— On les a tous étudiés – il y a également quatre femmes dans le groupe. Pas de casier, pas d’antécédents. Un seul point commun : ils ont tous été victimes d’un cinglé. Les deux hommes sont au-dessus de tout soupçon… Rien de ce côté-là.

— J’ai lu le rapport destiné à Ellmann. Sur le papier, c’est très joli, toutes ces conneries, mais vous savez aussi bien que moi que la moitié d’entre elles ne fonctionnent pas dans la vraie vie.

— La seule piste qu’il me reste, c’est ce détective privé engagé par Grant. Il a disparu dans la nature. J’ai la désagréable impression qu’il a dû trouver quelque chose et qu’il va finir dans une benne à ordures quelque part, les yeux arrachés.

— Vous pensez qu’il était sur la piste de notre cher tueur ?

— Aucune idée, capitaine. Je n’en sais foutre rien. Demandez-vous comment vous expliqueriez ce genre de choses à quelqu’un qui n’est pas flic. Imaginez-vous en train d’essayer de dire qu’on peut tuer autant de monde sans laisser derrière soi le moindre élément incriminant ou concluant. Après coup, oui, quand tous les éléments circonstanciels corroborent les aveux. Mais avant d’avoir attrapé le type, tout ça ne vaut rien.

— Merci, pas besoin de me le rappeler…

— Donc je crois qu’on devrait sortir cette affaire au grand jour. »

Farraday ne répondit pas. Il ne le contredit pas. Il ne balaya pas son idée d’un revers de main. Irving en conclut qu’il avait aussi envisagé cette possibilité.

« Et ensuite ?

— On dit la vérité, ou en tout cas la dose de vérité nécessaire pour être compris.

— On n’a pas de photo, ni même un croquis. Qu’est-ce qu’on va demander aux gens d’aller chercher ?

— On ne va pas leur demander de chercher quoi que ce soit. On va leur demander de
se
surveiller
les uns les autres.

— Vous voulez mettre toute une ville sur les dents.

— Je veux mettre toute une ville sur les dents… On filtre les appels, les fausses alertes, on met le plus de monde possible là-dessus et on règle cette affaire avant Noël…

— Je veux que ce soit terminé bien avant Noël.

— Alors il va falloir travailler avec les bonnes personnes, obtenir tous les moyens qu’on veut, et on balance l’affaire aux journaux et à la télévision.

— Vous voulez mon avis ? Je pense que ça ne va pas passer.

— Donc on n’essaie même pas ?

— Si, on va essayer. Mais je ne veux pas vous voir ruer dans les brancards le jour où on se fera botter le cul.

— Qu’ils aillent se faire foutre, dit Irving. S’ils ne nous donnent pas ce qu’on demande, ils peuvent chercher quelqu’un d’autre pour diriger cette enquête. »

Farraday lui adressa un sourire malicieux. « Il n’y a personne d’autre pour diriger cette enquête.

— Dans ce cas, ils seront bien emmerdés, non ? »

Farraday se tut pendant quelques secondes. « Donc il n’y a pas d’autre issue ? C’est ce que vous voulez faire ? demanda-t-il.

— C’est ce que je veux faire… C’est ce que
je crois
qu’il faut faire.

— Parce que c’est la meilleure stratégie ou parce que c’est la seule stratégie ?

— La seule.

— Bon. Alors pondez-moi une déclaration, mais faites en sorte qu’en la lisant j’aie l’impression que c’est la
meilleure
stratégie, d’accord ?

— Je peux vous faire ça. »

Farraday regarda de nouveau sa montre. « Il est 9 h 35. Envoyez-moi ça avant 11 heures. Vous avez besoin du psy du commissariat ?

— Vous croyez que je dois aller consulter un psy ?

— Pour l’article. Pour la rédaction de votre article, espèce de con. Je suis en train de me dire qu’on peut placer un appât dans notre déclaration pour attirer l’attention de l’assassin.

— C’est-à-dire ? D’aller raconter à la Terre entière que c’est une pédale ou qu’il a une toute petite bite, par exemple ? Ce genre de choses ? Oh, que non… Je ne veux surtout pas qu’il s’énerve encore plus. De toute manière, tout ce que les psys savent du comportement humain, je pourrais vous l’écrire sur un timbre-poste. »

Farraday eut un sourire complice. « Allez-y, dit-il. Préparez-moi quelque chose que je puisse envoyer aujourd’hui même. »

74

  S
avoir attendre était un don, peut-être même tout un art. Quoi qu’il en soit, ça n’avait jamais été le fort de l’inspecteur Irving.

Il rédigea la déclaration. Il prépara une ébauche d’article. Il le faisait, non parce qu’il en avait l’habitude ou l’expérience, mais par pure nécessité. Car en vérité, à part lui et les hommes qu’il dirigeait, personne ne semblait vraiment déterminé à élucider cette affaire. Ceux qui gravitaient autour – les représentants du cabinet du maire, les attachés de presse, voire les agences fédérales – voulaient l’assassin, mais pas le travail. Il y avait la police pour ça. Les impôts servaient à payer la police. La police savait toujours exactement quoi faire, et elle le faisait.

Bien sûr.

Hudson et Gifford partirent à la recherche de Karl Roberts, le détective privé. Ils trouvèrent son bureau et son appartement vides. Ils mirent la main sur des photos de lui et lancèrent un appel à témoins. Ils ne diffusèrent pas son portrait à la télévision, au cas où il serait encore en vie : une telle démarche risquerait d’en faire une victime potentielle.

Cependant, Irving pensait que Roberts avait peut-être découvert quelque chose au sujet de l’assassin de Mia Grant. Dans ce cas, il y avait fort à parier qu’il n’était déjà plus de ce monde.

Irving s’entretint une fois encore avec Anthony Grant et l’interrogea longuement sur tout ce que Roberts avait pu lui raconter concernant la mort de Mia, les pistes qu’il remontait, les recherches qu’il menait. Grant n’avait eu connaissance d’aucun élément intéressant. Il expliqua que Roberts était un type sérieux, presque totalement dépourvu d’humour, mais à l’évidence appliqué, travailleur, professionnel dans son approche et suffisamment rodé aux méthodes de la police pour laisser penser que c’était un ancien flic. Ce qui, en soi, n’avait rien d’extraordinaire. Irving demanda à Hudson et Gifford de passer au crible les bases de données de la police – une recherche dans les archives passées, actuelles, et dans les autres États de la région. Ils trouvèrent un Carl Roberts dans l’Upper West Side et un Karl Robertson dans le New Jersey. Rien d’autre.

 

Cinq jours passèrent. Le lundi 20, le service de presse de la police de New York produisit une déclaration officielle et un article. Les deux furent envoyés au
New York Times
, au
City Herald
, au
Daily
News
, à la fois sous format papier et en version numérique pour leur site Internet. L’information fut reprise par NBC, ABC, CBS et WNET. Le directeur Ellmann confia à son adjoint la tâche de faire les déclarations publiques. Il ne voulait pas qu’on se souvienne de lui comme de l’homme qui annonçait les mauvaises nouvelles.

Les New-Yorkais apprirent qu’un tueur sévissait parmi eux depuis cinq mois. En tout, dix-sept assassinats lui étaient attribués. Les visages des victimes furent publiés et diffusés sur Internet. Un numéro de téléphone spécial fut mis en place pour recevoir les appels de toutes les personnes qui reconnaîtraient ces victimes, qui les auraient vues dans les heures ou les jours précédant leur mort, ou qui posséderaient des renseignements susceptibles d’intéresser la police.

Ellmann et Farraday enrôlèrent quinze agents supplémentaires pour traiter ces appels. À 16 h 30, ce même jour, ils étaient déjà débordés. On sentait une panique sourde, tant au sein de la police qu’à l’extérieur. Gifford, Hudson, Saxon, O’Reilly, Goldman et Vogel furent de nouveau convoqués. Farraday les mit au parfum en présence d’Irving. Trois inspecteurs furent prêtés par le n
o
 7 pour s’occuper des tâches quotidiennes au n
o
 4, cependant que les inspecteurs de la Criminelle étaient chargés de s’occuper de tout appel qui ne serait pas un canular. Ellmann était d’accord avec Farraday : les hommes qui connaissaient déjà le dossier devaient continuer de travailler dessus, ce qui permettait de ne pas reprendre tout à zéro avec les nouveaux venus.

À 19 heures, il y avait trois cent quatorze pistes nouvelles ; à 21 heures, plus de cinq cents. Les journaux regorgeaient d’hypothèses et d’articles fallacieux. La psychose enflait. Irving ne savait pas s’il rêvait, mais chaque fois qu’il quittait le commissariat, il trouvait l’atmosphère de la ville très pesante.

Sur le coup de 22 heures, il téléphona à Karen Langley et lui laissa un message.

« Karen, c’est Ray. Je me retrouve avec plus de cinq cents pistes sur les bras. Dites à John de m’appeler. J’ai vraiment besoin de son aide. Ça dépasse vraiment nos petits problèmes personnels, là, vous comprenez ? Il s’agit de la vie des autres. Dites-lui ça de ma part. Dites-lui que s’il ne vient pas m’aider… »

Tout à coup, il entendit un déclic, puis la voix de Karen Langley.

« Ray ?

— Ah, Karen. J’étais en train de vous laisser un message.

— J’ai entendu, Ray. Il a disparu.

— Quoi ?

— John… Il a disparu. »

Irving sentit un frisson sur sa nuque. « Comment ça, disparu ?

— Bon Dieu, Ray, ce n’est pas difficile à comprendre ! Disparu.

— Depuis quand ?

— Je l’ai vu la dernière fois vendredi après-midi. Il m’a demandé s’il pouvait partir plus tôt. Il n’est pas venu ce matin et son téléphone ne répond pas. Rien. J’ai même envoyé quelqu’un pour voir s’il y a de la lumière chez lui, mais il n’y a rien. »

Irving se sentit nauséeux. Troublé.

« Ray ?

— Oui ?

— Je m’inquiète pour lui… J’ai peur qu’il ait fait une bêtise.

— Vous croyez qu’il est instable à ce point ?

— Écoutez, je ne sais pas quoi penser. Simplement, je suis sûre et certaine qu’il n’a rien à voir avec ces meurtres. Je sais que vous avez toujours un doute…

— Non, Karen… J’étais vraiment passé à autre chose mais ensuite, j’ai vu son appartement. Et j’en ai conclu que… Oh, et puis je ne sais même pas ce que j’en ai conclu !

— Pour moi, comme toutes ces autres choses qui paraissent bizarres chez lui, je vois ça comme sa façon d’affronter ce qui lui est arrivé.

— Ça en dit long sur nos différences.

— On n’est pas si différents que ça, Ray. Vous êtes simplement plus inculte et égocentrique que moi. Et un peu moins intelligent, aussi. »

Irving sourit. Vu les circonstances, l’humour n’était pas tout à fait de mise, mais Karen Langley venait de lui rappeler, une fois de plus, qu’il y avait une vie en dehors du commissariat n
o
 4.

« Qu’est-ce que vous comptez faire ?

— Je vais le retrouver, Karen. Il faut que je sache. Ce n’est plus de la simple curiosité, ou l’envie de savoir où il est, mais le besoin de déterminer si oui ou non il est impliqué.

— Je vous assure que…

— Je sais, Karen. Je sais. Et j’espère vraiment qu’il n’a rien à voir avec ça. Mais il faut que j’en aie le cœur net. Il y a trop de choses en jeu pour que je laisse ça en plan.

— Je comprends.

— Et merci d’avoir décroché.

— Soyez prudent, Ray Irving.

— Pareillement. »

Elle raccrocha. Irving fit de même, hésita une seconde et souleva de nouveau le combiné pour joindre Hudson et Gifford.

« Lancez un appel à témoins pour Costello, leur dit-il. Il faut qu’on le retrouve à tout prix, OK ? »

75

  L
e monde sembla s’arrêter de tourner pendant trois jours. Le commissariat n
o
 4 se transforma en pandémonium. C’était le chaos. Une armée d’opérateurs téléphoniques, constamment renouvelée, se chargeait de gérer toutes les incohérences, les suppositions, les hypothèses et les failles d’une enquête désormais rendue publique. Pour cinquante appels, on comptait une demi-douzaine de pistes intéressantes à suivre. Les agents Vogel, O’Reilly, Goldman et Saxon, circulaient en voiture ; les inspecteurs Hudson et Gifford essayaient de localiser Karl Roberts et Costello.

Journaux et chaînes de télévision commencèrent à critiquer les forces de l’ordre. Pourquoi l’enquête n’aboutissait-elle pas ? Où allait l’argent du contribuable ? Malgré le maillage de toute la ville et des moyens apparemment illimités, les policiers n’arrivaient-ils donc toujours pas à mettre la main sur l’homme qui terrorisait New York ?

Le monde ne leur offrit rien jusqu’au matin du jeudi 23 novembre, et quand cela arriva, Irving s’était attendu à tout sauf à cela.

7 heures passées de quelques minutes. Il était assis devant son bureau de la salle des opérations. Cela faisait déjà deux heures qu’il était rentré au commissariat, après l’avoir quitté vers 1 heure du matin. Trois petites heures de sommeil, et il marchait au bord du gouffre, une fois de plus.

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