La Bible du crime (NON FICTION) (French Edition) (4 page)

BOOK: La Bible du crime (NON FICTION) (French Edition)
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15 janvier
1951

Arrestation du tueur en série William Cook.

L
’un des plus terrifiants tueurs du
XX
e
 siècle avait le mot « Malchance » gravé sur les doigts de sa main gauche. Il en était fier et sa courte existence en fut la démonstration vivante. Lorsqu’il est exécuté dans la chambre à gaz de la prison de San Quentin en Californie le 12 décembre 1952, William Cook a tué cinq personnes dont trois enfants. Cet auto-stoppeur compulsif n’exprimera jamais le moindre remords pour ses actes.

 

Né en 1929 près de Joplin dans le Missouri, le jeune Billy Cook est élevé à la dure avec sept frères et sœurs. Son père mineur de fond ne sait ni lire ni écrire et, après la mort de son épouse, il confine la famille dans un puits de mine abandonné. Un soir, alors qu’il sort ivre d’un bar comme à son habitude, le père monte à bord d’un train de marchandises pour ne plus jamais revenir. Les autorités découvriront des enfants affamés qui survivent comme des rats dans une grotte.

 

Tous les enfants sont placés dans des familles d’accueil, sauf le petit Billy. Son apparence physique est sinistre car il souffre d’une maladie congénitale qui l’oblige à garder en permanence son œil droit ouvert. Ce « mauvais œil » l’empêche d’être adopté. Les services sociaux sont forcés de payer quelqu’un pour le prendre. Une femme accepte, mais Billy ne ressent qu’indifférence. Deux Noëls de suite,
sa mère adoptive lui offre une bicyclette qui sera, à chaque fois, reprise par le magasin car elle n’a pas réglé les mensualités.

À l’adolescence, Cook quitte l’école et reste dehors presque toutes les nuits. Il passe son temps à voler et à se bagarrer. Arrêté, il déclare au juge préférer une maison de correction à sa famille d’adoption. Son souhait est exaucé. Libéré quelques mois plus tard, il a 18 ans quand il dérobe 11 dollars à un chauffeur de taxi, avant de voler une voiture. Cette fois-ci, William Cook est condamné à cinq ans d’emprisonnement dans une maison de correction où son comportement agressif lui vaut d’être transféré dans une prison pour adultes au pénitencier d’État du Missouri. Ses accès de fureur sont fréquents et il est craint par les autres détenus. Un jour, un compagnon de cellule a le malheur de faire une remarque sur son œil droit ; il est quasiment battu à mort.

 

En 1950, Cook sort de prison. Il a 22 ans et il retourne brièvement dans sa ville natale près de Joplin où il rencontre son père. Étranges
retrouvailles entre un fils rempli de haine qui n’a jamais connu l’amour et le père alcoolique qui l’a abandonné. Le jeune homme lui annonce qu’il va partir sur les routes le flingue à la main. Son père l’aperçoit une dernière fois dans la rue en train de hurler des imprécations.

 

William Cook fait du stop à travers le sud-ouest des États-Unis avant d’arriver dans la petite ville de Blythe en Californie avec, pour seul compagnon, un pistolet de calibre.32 qu’il s’est procuré à El Paso, au Texas. C’est à Blythe qu’il trouve l’unique emploi de son existence, comme plongeur dans un restaurant. Mais le vagabondage reprend vite le dessus et il repart pour le Texas.

 

La nuit du 30 décembre 1950, Cook est devant une station-service de Lubbock au Texas lorsqu’un véhicule s’approche pour faire le plein. Il s’enquiert de la destination du chauffeur.

— Où allez-vous ?

— Tulsa, répond le conducteur.

— Je vais à Joplin.

L’homme hésite. Il y a quelque chose de bizarre dans cet œil qui ne se ferme jamais, mais il se sent fatigué et il craint de s’endormir au volant. Pendant des kilomètres, le conducteur parle sans jamais obtenir la moindre réponse de Cook, dont le visage reste fermé. Soudain, il sent le canon d’un pistolet s’enfoncer dans ses côtes. Il stoppe le véhicule. Cook s’empare de son portefeuille et lui ordonne de grimper dans le coffre. Enfermé, l’otage se sert du démonte-pneu pour briser la serrure. Lorsque le véhicule ralentit pour bifurquer sur une route secondaire, il ouvre rapidement le coffre et saute. Cook a entendu du bruit. Il freine. Une silhouette court dans l’obscurité. « T’as intérêt à t’arrêter, mec ! hurle Cook. Je vais te flinguer ! » Il hésite un long moment, avant de renoncer à son projet. Pourquoi gâcher de précieuses munitions. Il se remet au volant et démarre dans la nuit.

 

Sur la Route 66, entre Claremore et Tulsa, en Oklahoma, William Cook tombe en panne d’essence. Quelques minutes plus tard, il voit une Chevrolet se garer. Carl Mosser est accompagné de sa femme Thelma et de leurs trois enfants, Ronald, 7 ans, Gary, 5 ans,
et Pamela, 3 ans, ainsi que du chien de la famille. Il ne se doute pas qu’il va vivre trois jours d’enfer.

 

Cook dégaine son pistolet et s’installe sur le siège avant, à côté de l’épouse de Mosser. D’un geste, il indique à Carl de démarrer.

— Qu’est-ce que vous nous voulez ?

Cook ne répond pas. Il rompt son silence une heure plus tard et ordonne :

— Conduisez.

Le père de famille s’exécute. La voiture zigzague à travers tout le sud-ouest, de Tulsa jusqu’à Wichita Falls au Texas. Les enfants ont faim et l’essence va bientôt manquer. Dans une station-service de Wichita Falls, Carl Mosser et Cook vont faire des provisions. C’est à cet instant que l’otage décide d’attaquer son kidnappeur. Un employé assez âgé est présent. Mosser crie pour qu’il l’aide. Effrayé, le vieillard sort un pistolet du tiroir-caisse.

— Il était dans ma voiture toute la journée ! Il a un flingue et dit qu’il va tous nous tuer !

— Fichez le camp de ma boutique ! s’écrie l’employé.

Les deux hommes se battent et s’effondrent contre une vitrine du magasin qui se brise. Cook ordonne à Mosser de reprendre le volant et de démarrer. Le vieillard saute dans une camionnette pour les suivre. Cook tire plusieurs balles dans sa direction. Le poursuivant s’arrête en bord de route. Enragé, Cook ordonne à Mosser de le conduire jusqu’à Carlsbad, au Nouveau-Mexique. Puis c’est El Paso, Houston et Winthrop dans l’Arkansas. Il veut retourner dans sa ville natale de Joplin dans le Missouri. Thelma, hystérique, pleure sans arrêt et les enfants hurlent à n’en plus finir. Cook est à bout de nerfs. Il bâillonne tous les passagers, sauf le père.

 

Un véhicule de police les dépasse en ralentissant. Cook se rend compte des risques encourus, cela fait maintenant près de trois jours qu’ils voyagent ainsi. Il ordonne à Carl Mosser de stopper la Chevrolet, avant de vider son arme sur tous les membres de la famille. Même le chien n’échappe pas à sa rage meurtrière. Il traverse Joplin avec les cadavres à bord et s’en débarrasse dans un puits de mine abandonné, un endroit qu’il a fréquenté durant son enfance.

 

William Cook tombe en panne dans le comté d’Osage, en Oklahoma, où il est arrêté par le shérif adjoint Warren Smith qu’il parvient à désarmer et qu’il laisse attaché en bord de route. Il s’enfuit à bord du véhicule de police mais, pour éviter de se faire repérer, Cook sait qu’il doit vite l’abandonner. Il arrête un automobiliste, Robert H. Dewey, qu’il blesse d’une balle avant de l’achever d’un tir à bout portant dans le crâne. Il balance le corps dans un fossé.

 

Les autorités l’ont maintenant identifié. Près d’un millier de policiers sont à ses trousses, mais Cook a déjà franchi la frontière qui sépare les États-Unis du Mexique. Le 15 janvier 1951, l’inspecteur Francisco Morales reconnaît la voiture de Cook et l’arrête après s’être emparé de son arme. La police mexicaine le confie aux bons soins du FBI. Les cadavres de la famille Mosser ont été retrouvés, mais le département de la Justice préfère le faire juger en Californie pour l’assassinat de Robert Dewey. Lors de son procès, William Cook desserre à peine les lèvres. Il ne montre aucune émotion lorsque la cour le condamne à la peine de mort et c’est sans un mot qu’il pénètre, le 12 décembre 1952, dans la cage vitrée de la chambre à gaz de la prison de San Quentin.

 

L’odyssée meurtrière de William Cook inspire le seul film noir de l’histoire du cinéma américain réalisé par une femme, l’actrice Ida Lupino, qui signe un chef-d’œuvre avec
The Hitch-Hiker
(
Le Voyage de la peur
), tourné moins d’un an après l’exécution du tueur en série.

16 janvier
2004

Une mère de famille de 23 ans poignarde à cinquante-deux reprises sa fille de 5 ans.

D
evant la cour de justice de Manchester, Aisling Murray est condamnée à une peine de perpétuité qu’elle doit purger dans un établissement psychiatrique. Dans la chambre de
son enfant, elle a enlevé tous les meubles et éléments de décoration, allant même jusqu’à arracher le papier peint pour ne laisser que le lit, tel un autel, avant d’attaquer Chloe avec un couteau de cuisine à 4 heures du matin. Des voisins qui entendent les supplications de l’enfant préviennent la police, mais il est déjà trop tard. Tous les murs sont couverts de sang et la mère reste de longues heures prostrée dans un état catatonique.

 

Un mois avant le meurtre, Murray est libérée d’un hôpital psychiatrique où les médecins estiment qu’elle ne présente « aucun risque ». Le soir qui précède le crime, elle est arrêtée par la police après une crise de violence au cours de laquelle elle se blesse. Lors de son enfance, Aisling Murray a été victime d’abus sexuels et internée à plusieurs reprises dans divers établissements psychiatriques.

17 janvier
1975

Arrestation de Joseph Kallinger et de son fils, tous les deux meurtriers en série.

V
ictime de terribles abus durant son enfance, le cordonnier Joseph Kallinger a pour habitude d’élever ses enfants en les torturant. Dans les années 1970, il tue plusieurs victimes en Pennsylvanie et dans le New Jersey, dont un de ses fils. Curieusement, un autre de ses fils l’accompagne parfois dans ses expéditions meurtrières. Affirmant être hanté par des hallucinations où des têtes coupées lui ordonnent de tuer, Kallinger est condamné à perpétuité pour trois assassinats. Son cas est l’objet d’un ouvrage,
The Shoemaker – The Anatomy of a Psychotic
, par Flora Schreiber, l’auteur de
Sybil
.

18 janvier
1950

« The Great Brink’s Robbery » est qualifié de « crime du siècle » par les médias américains.

U
n gang de onze hommes vole le siège de la Brink’s, le transporteur de fonds, à Boston, à l’angle de Commercial Street et Prince Street. Le vol rapporte plus de 2 700 000 dollars. Arrêtés entre juin 1950 et janvier 1956, huit des membres écopent de la prison à perpétuité. Ils bénéficient d’une libération conditionnelle en 1971, à l’exception du « cerveau » du cambriolage, Joseph McGinnis, qui décède en prison.

 

Quatre films seront tirés de cette affaire,
Six Bridges to Cross
(1955) de Joseph Pevney,
Blueprint for Robbery
(1961) de Jerry Hopper,
Brinks : The Great Robbery
(1976) de Marvin Chomsky et
The Brink’s Job
(1978) de William Friedkin.

19 janvier
1870

Jean-Baptiste Troppmann est guillotiné place de la Roquette, à Paris, pour le « Crime de Pantin ».

V
oici comment la revue
Crimes et châtiments
rapporte l’événement en 1960 :

« Cela commence le 20 septembre 1869, à 7 heures du matin, dans la plaine de Pantin, près du fort d’Aubervilliers, au lieu-dit le Chemin vert. Pantin, à cette époque, c’était encore la campagne, et La Villette, un pays de maraîchers.

Donc, au matin du 20 septembre, un cultivateur de La Villette, Langlois, se rendant à ses potagers, aperçoit, au bord d’un champ de luzerne appartenant à la veuve Magnin, des traînées de sang et des fragments de cervelle. Au-delà de la luzerne, la terre est partout labourée, nette et unie, sauf en un endroit où elle s’exhausse en léger monticule.

Intrigué, Langlois s’avance, donne un coup de bêche. Un pan
de mouchoir surgit, puis ce sont des cheveux, un front. Pressentant un crime, Langlois court alerter la police. Un instant plus tard arrivent le commissaire de Pantin, Roubel, le docteur Lugagne et les soldats du fort. Repoussant les curieux qui commencent à affluer, la troupe fouille le monticule. Successivement, les quatre cadavres apparaissent, encore tièdes, mutilés, défigurés : un petit garçon de 5 ans, un autre d’une dizaine d’années, une fillette, une femme. Ils ont tous été poignardés ou étranglés, égorgés et frappés à coups de pelle et de pioche.

Et voilà que, poursuivant leur horrible découverte, les soldats mettent au jour deux autres cadavres d’enfants, un garçon de 8 ans et un adolescent de 13 ou 14 ans, portant ainsi à six le nombre des corps exhumés du champ Magnin.

La nouvelle, bientôt connue à Paris, y suscite une émotion telle que tous les soucis de l’heure, jusqu’aux menaces de guerre, passent au deuxième rang. Tout contribuait à exciter l’intérêt du public. D’abord le lieu du crime, ce champ désert, ce Chemin Vert, à l’appellation faussement idyllique, dans une sinistre banlieue. La sentimentalité populaire se donne libre cours devant ces innocents massacrés, cette femme poignardée (elle allait à nouveau être mère !).

Au bout de quelques jours, l’identité des victimes enfin établie (les vêtements portent la marque d’un magasin de confection à Roubaix, et des papiers trouvés sur la femme révèlent qu’elle était l’épouse de Jean Kinck, mécanicien en cette ville), le mystère se double de la disparition de Jean Kinck et de celle de son fils aîné, Gustave. Victimes, eux aussi ? Ou meurtriers ?

On sait par le personnel de
L’Hôtel du Chemin de Fer
, boulevard Denain, à Paris, que le 19 septembre au soir une dame Jean Kinck, venant de Roubaix avec ses cinq enfants, s’est présentée au bureau de l’hôtel et y a demandé son mari. Il lui est répondu que M. Kinck est absent, et la pauvre provinciale, embarrassée par sa nombreuse progéniture et, selon toute apparence, assez dépaysée dans ce grand Paris, explique qu’arrivée par le train précédent que celui qu’on lui avait indiqué, elle préfère retourner à la gare où son mari l’attendra au rendez-vous.

On cherche d’abord Jean Kinck à Roubaix. On apprend qu’il en est parti, le 2 août, à destination de Guebwiller, en Alsace. Mais là, aucun membre de la famille n’a reçu sa visite. Le fait est étrange,
car Kinck, Alsacien d’origine, homme posé et respectueux des traditions, n’omet jamais de saluer ses nombreux parents, lorsqu’il revient “au pays”. On l’a aperçu, pour la dernière fois, le 25 août, en gare de Bollwiller, à sa descente du train, se dirigeant vers Soultz, dans l’omnibus du chemin de fer. À l’auberge de cette ville, chez Loevert, il a rapidement déjeuné, en compagnie d’un jeune homme d’aspect maladif, mais dont les moindres mouvements trahissaient une remarquable souplesse et une force musculaire peu en rapport avec sa chétive apparence. Les deux voyageurs parlaient le patois local, et le jeune homme, lorsqu’il s’exprimait en français, possédait l’accent marqué du terroir. Puis les deux compagnons se sont levés et ont pris, à pied, la direction de Watewiller. À partir de ce moment, on perd toute trace de Jean Kinck.

Les soupçons pèsent surtout sur le fils aîné, Gustave, également introuvable, et qui ne peut être que le jeune voyageur de
L’Hôtel du Chemin de Fer
, où, pour des raisons inconnues, il s’est fait inscrire sous le prénom de son père.

Une perquisition, opérée dans sa chambre, permet aux enquêteurs de saisir une chemise et du linge tachés de sang. De plus, dès le matin du 21 septembre, un cocher, Bardot, s’est présenté à la Sûreté et, mis à la morgue en présence des cadavres, a immédiatement reconnu M
me
 Kinck et ses enfants pour les avoir conduits à Pantin deux nuits auparavant. Bardot a d’abord hésité, vu l’heure tardive (11 heures du soir) et la distance, à charger cette pesante personne et sa bruyante marmaille. Mais un jeune homme, qui semblait diriger l’expédition, n’a pas laissé au sieur Bardot le temps de la réflexion. D’une voix impérieuse, à l’accent alsacien (cette même voix qui a impressionné M
me
 Loevert), il a au sortir de la gare du Nord, donné l’ordre de marche et déclaré : “On vous prend à l’heure !”, réglant par avance les quatre francs du tarif.

Cette course dans la nuit, sur cette morne route de Flandre, à travers ces quartiers encore peu habités, rues de faubourgs s’achevant en chemins de traverses et que balayait, ce soir-là, un vent particulièrement violent, n’a pas été sans intriguer Bardot. Il entendait bien les enfants rire et bavarder, la grosse dame soupirer de fatigue, mais, chaque fois qu’il se retournait pour regarder son monde, le jeune homme à la voix hargneuse répétait furieusement :

— Marchez ! Marchez tonc ! Blus fite !

Aux Quatre-Chemins, en plein champ, on s’arrête. Le jeune homme fait descendre la dame et s’éloigne avec elle, la petite fille et le plus jeune des garçons. Les trois autres enfants restent dans la voiture. Bardot, de plus en plus étonné, les questionne :

— Où allez-vous donc à pareille heure ?

Comme en chœur, les petites voix répondent :

— Retrouver papa. Il a acheté une maison et doit nous attendre.

— Mais pourquoi vous laisse-t-on ici ?

— Maman et Jean vont venir nous chercher dès qu’ils seront sûrs que papa est là.

— D’où venez-vous ?

— De Roubaix.

— C’est votre grand frère, Jean ?

— Non, c’est un ami, comme un parent.

À ce moment, la silhouette du jeune homme se profile à nouveau. Il est seul.

— Votre papa est là, dit-il. Venez !

Il se retourne vers Bardot :

— Nous restons ici, c’est décidé… Vous pouvez rentrer à Paris.

Paternellement, il passe au cou de l’un des enfants un foulard. Les nuits de septembre sont fraîches et le vent souffle maintenant en rafales. Il souffle même si fort qu’il a dû couvrir les premiers cris montés de la plaine. Bardot n’a rien entendu. Mais alors, puisque les enfants ont déclaré au cocher que le jeune homme n’était qu’un ami, il ne peut s’agir de leur frère Gustave.

Pendant que l’on recherche, partout en France, l’auteur de ces crimes atroces, au port du Havre un certain Dourson, dit Tortillard, mouchard occasionnel de la police, s’est attaché depuis deux jours aux pas d’un inconnu, descendu à l’hôtel Rosney où il s’est inscrit sous le nom d’Henri Fisch, mécanicien à Bâle. Henri Fisch, démuni de papiers, semble très désireux de s’en procurer et il confie à Tortillard que, résolu à émigrer, il payerait bon prix un faux passeport. Pour causer plus à l’aise, Fisch et Tortillard se dirigent vers un estaminet de la rue Royale. Discrètement, Tortillard prévient le brigadier Ferrand, gendarme, en service le 24 septembre, quai Casimir Delvigne, où il surveillait les individus susceptibles de s’embarquer clandestinement pour l’Amérique. Il suit les deux
hommes dans le troquet, où il fait mine de s’intéresser à certains consommateurs d’allure louche, puis, se tournant vers Fisch :

— Votre nom ? demande-t-il.

L’interpellé maugrée :

— Vanderberg.

— Papiers !

— Je n’en ai pas.

Ferrand est inflexible sur la consigne.

— Si vous n’avez pas de papiers, il faut venir vous expliquer au commissariat.

Vanderberg blêmit. Docile pourtant, il suit le gendarme. Tout en marchant, Ferrand devise avec lui.

— Et comme ça, jeune homme, on est venu au Havre. D’où arrivez-vous ?

— Roubaix.

— Et pour aller de Roubaix au Havre, quelle route avez-vous prise ?

— J’ai passé par Paris.

C’est alors que le gendarme Ferrand prononce ce mot providentiel :

— Par Paris… Ne serait-ce pas plutôt par Pantin ?

L’effet est immédiat. Abandonnant son garde du corps, Vanderberg se met à courir. Parvenu au bassin du Commerce, il saute à l’eau. Tentative d’évasion, suicide ? Il n’a le temps de réussir ni l’un ni l’autre. Un ouvrier, Hauguel, a courageusement plongé derrière lui. Courte lutte, au cours de laquelle les deux hommes manquent de couler à pic et qui se termine par le triomphe d’Hauguel ramenant sur la berge le désespéré évanoui. Transporté à l’hôpital, il y est ranimé, puis soumis à une fouille minutieuse. On tire de ses vêtements trempés de l’argent, une montre, un couteau ébréché et, surtout, une assez grande quantité de titres, de créances, de factures au nom de Jean Kinck. Presque aussitôt après, nouveau coup de théâtre. Ce soi-disant Jean Kinck s’appelle en réalité : Jean-Baptiste Troppmann !

 

Ramené à Paris, interrogé aussitôt à la morgue, face aux dépouilles des Kinck qu’il considère d’un œil indifférent, Troppmann se défend d’avoir été dans l’assassinat autre chose qu’un vague
comparse. Les vrais meurtriers sont Gustave et son père, ce dernier atteint dans son honneur conjugal par l’inconduite de sa femme. Les deux hommes voulaient gagner l’Amérique en compagnie de Troppmann et y chercher fortune. Leur coup fait, les trois hommes s’étaient donné rendez-vous au Havre où Troppmann attendait ses complices. Ces révélations, qui se heurtent à trop d’invraisemblances, laissent sceptique le chef de la Sûreté.

Entre-temps, troisième coup de théâtre, les fouilles au champ Magnin révèlent la présence d’un septième cadavre, Gustave Kinck. Troppmann, toujours maître de lui, accueille sans trouble cette écrasante révélation.

— Je m’en doutais, dit-il. Jean Kinck aura fait disparaître en Gustave un témoin gênant !

La contradiction est flagrante. De plus, reconnu par les gens de l’hôtel, le cocher, le quincaillier auquel il a acheté la pelle et la pioche indispensables à sa double tâche de meurtrier et de fossoyeur, Troppmann ne peut plus nier. Peu à peu, l’instruction parvient à démêler les fils de cette tragédie. Troppmann, miséreux et avide d’argent, capte la confiance des Kinck et fait miroiter aux yeux de Jean Kinck l’occasion d’acheter à vil prix un petit bien à Bühl, en Alsace. Il l’entraîne ainsi loin de Roubaix, vers les solitudes de la Herrenflüh, où il l’empoisonne avec un verre de vin mêlé d’acide prussique. Puis il écrit à M
me
 Kinck une lettre soi-disant dictée par Jean Kinck qu’une blessure à la main aurait mis dans l’obligation de recourir aux bons offices du cher Troppmann. La bonne M
me
 Kinck qui, d’ailleurs, ne sait pas lire, encaisse les chèques et en adresse le montant à son mari par lettre chargée. Mais, à la poste de Guebwiller, le receveur refuse de délivrer le pli au prétendu Jean Kinck, celui-ci ne pouvant suffisamment justifier de son identité. Déçu, Troppmann se rabat alors sur Gustave et lui demande, toujours au nom de Jean Kinck, de retirer les lettres et d’apporter l’argent à Paris. Faute d’une procuration légalisée, Gustave est, à son tour, éconduit par l’employé des postes. Il arrive, gare du Nord, les mains vides.

Le soir même, Troppmann, sous un prétexte quelconque, emmène Gustave à Pantin, le tue et l’enfouit dans le champ Magnin. Lorsque M
me
 Kinck débarquera, ayant sur elle tout l’argent de la famille rassemblé en hâte à Roubaix, elle ne trouve pas son mari à son
hôtel. Et c’est alors l’inexplicable course à Pantin, acceptée sans examen par la naïve M
me
 Kinck, et cette affreuse tragédie en deux temps, la mère terrassée d’un coup de poignard, les deux enfants égorgés. Puis le retour de Troppmann vers la voiture, la deuxième fournée de victimes, le foulard étranglant l’un, le couteau égorgeant l’autre, la pelle et la pioche assommant le troisième, défigurant l’ensemble. Il n’est plus un seul Kinck qui puisse parler, et l’argent dérobé à M
me
 Kinck suffira à payer le voyage de Troppmann vers l’Amérique ! Le seul point sur lequel Troppmann n’a point menti est le lieu où gît la dépouille de Jean Kinck. On y trouve en effet le cadavre en état avancé de putréfaction et l’analyse démontre que le mécanicien a bien succombé à un empoisonnement par l’acide prussique.

L’année 1869 s’est achevée par la condamnation de ce monstre. Dix-neuf jours seulement après le verdict, les portes de la Roquette s’ouvrent, en ce matin blême où, sur la place, se dressent les deux bras de la guillotine. Troppmann apparaît, et c’est le silence. Face à la guillotine, Troppmann affirme encore l’existence de ses complices et maintient ses déclarations. On le jette sur la bascule. C’est alors que, témoignant de sa souplesse de félin et d’une vigueur de bête fauve, il glisse hors de la lunette sa tête sur laquelle on n’a pas encore rabattu le montant supérieur.

Il faut que l’exécuteur et ses aides le prennent aux cheveux pour le ramener sous le couperet… Mais, avant que celui-ci ne tombe, dans cette seconde atroce, Troppmann a eu le temps de happer la main du bourreau et d’entailler d’une profonde morsure d’index d’Heidenreich. »

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